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« Rarécourt-en-Argonne, 27 août. — A table, le prince Luitpold a plaint ses Bavarois, qui continuent à être spécialement exposés aux fatigues et aux dangers ; mais il n’en a pas moins parlé avec le plus grand respect du talent stratégique de Moltke. « Et avec cela il est si muet : « impossible de rien apprendre de lui ! » Le roi traite le prince Luitpold avec la plus grande considération, mais il ne lui dit rien de ses plans militaires avant le moment où tout le monde est admis à les connaître.

« Grand-Pré, 30 août. — J’ai parlé hier avec le roi de l’excès de prévenance des dames berlinoises pour les prisonniers français. Le roi en est très fâché ; mais il m’a dit que légalement il n’avait guère le moyen de l’empêcher ; il a du moins interdit aux particuliers de recevoir chez eux des blessés français. Depuis que nous sommes en France, ce sont les Hessois qui, les premiers, ont commencé à piller ; malheureusement je dois avouer que les Prussiens ou les Saxons s’y entendent aussi. Bien que le village soit mis en réquisition par le maire, les soldats envahissent les maisons et prennent ce qu’ils trouvent. Un grand nombre de plaintes me sont parvenues ; mais je n’y puis rien. C’est la guerre ! »

Et le surlendemain, c’est la guerre encore. La dernière partie est engagée :

« Château de la Casine près Venderesse, 1er septembre. — Aujourd’hui bataille à Sedan. L’idylle d’ici (car le château est merveilleux, avec un beau parc, des bois et des collines), atout instant elle est interrompue par le bruit de la canonnade. Des témoins rapportent que Napoléon a assisté avant-hier à la bataille avec son fils et s’est ensuite rendu à Sedan. On dit que l’indiscipline est très grande dans l’armée française, et que les soldats n’obéissent même plus à leurs officiers. Avant-hier, le roi a reçu une lettre autographe de l’empereur de Russie qui lui souhaite d’être victorieux dans la lutte, mais qui exprime en même temps le vœu qu’il soit généreux, qu’il ne songe pas à diminuer le territoire de la France, etc. Le ton est froid : ce n’est guère la lettre d’un si proche parent. L’impression désagréable qu’on en a eue ici, vous pouvez vous la figurer !…

« 2 septembre. — Hier soir, nos officiers sont rentrés de Sedan et nous ont rapporté la nouvelle de l’issue merveilleuse du combat. Nous savions que Napoléon était venu avant-hier à Sedan, mais nous croyions qu’il profiterait de la nuit pour passer en Belgique. Aussi avons-nous été très étonnés d’apprendre, du lieutenant-colonel Bronsart de Schellendorf, qu’on était venu le chercher hier à Sedan et qu’on l’avait introduit dans une chambre où il avait vu Napoléon assis, à demi brisé, sur une chaise. On dit que les pertes des Français sont énormes ; les nôtres sont assez petites, à l’exception des Bavarois, qui ont marché très bravement au feu, et qui ont perdu plus de trois mille hommes.

« 3 septembre. — Il m’a été impossible hier de féliciter le roi comme j’aurais voulu lorsque j’ai été le saluer sur la hauteur de Sedan : il y