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du wagon royal, criant : « Hourrah pour le cher vieux père de notre pays ! » A Mayence, c’est déjà la guerre qui s’ouvre. La ville est pleine de soldats : on s’attend à une attaque des Français sur le Rhin.

« Aux dîners, comme à Ems, assiste seulement d’ordinaire la suite immédiate du roi. Tout, d’ailleurs, marche sur le pied de campagne : une soupe, trois plats, du fromage, vins rouge et blanc ; c’est le menu qu’on a encore servi hier, bien que le roi eût à dîner le grand-duc de Weimar, le prince Charles et le prince de Holstein. Le grand-duc, que le roi m’a présenté lui-même, a parlé en termes très durs de l’impératrice Eugénie ; il a remarqué aussi qu’il était vraiment indécent de commencer une guerre par une chaleur pareille ! »

Le 10 août, de Saarbrück, où a eu lieu dix jours auparavant la première bataille, Wilmowski écrit :

« Demain, à une heure, nous entrons en France ; le quartier général est fixé à Saint-Avold. D’après les dépêches, Napoléon n’a pas osé cacher sa défaite ; et dans quelles pitoyables circonstances il l’a reconnue ! Bismarck a dit tout à l’heure que, après la paix, les Français devraient mettre leur empereur en prison. »

Et la marche commence à travers l’Alsace :

« Faulquemont, 14 août. — Ici, comme partout sur notre chemin, nous avons trouvé la plupart des maisons vides. Les habitans s’enfuient dès que nous approchons. Toutes les boutiques étaient fermées. — 16 août. Un marchand de vin d’ici avait fait effacer pendant la nuit l’enseigne de sa maison ; et quand nos soldats se sont présentés le matin pour lui demander du vin, il a répondu qu’il n’avait rien à vendre aux Prussiens. De là grand émoi : le commandant a installé un poste dans la maison et forcé le marchand à vendre son vin. Le soir, le grand-duc héritier de Weimar, son aide de camp et moi nous sommes allés dans un jardin, où nous avons vu jouer une pièce française… Nous sommes allés ensuite prendre le thé chez le grand-duc, avec le prince Luitpold de Bavière. Une vive discussion s’est élevée au sujet de… Wagner et de ses opéras. Le prince Luitpold s’est montré adversaire impitoyable de Wagner ; le grand-duc, au contraire, tout à fait enthousiaste de la musique nouvelle.

« Nomény, 17 août. — Plus on s’éloigne de la frontière actuelle de l’Allemagne, plus on voit s’évanouir l’illusion que ce pays, parce qu’il a jadis appartenu à l’Allemagne, soit encore resté allemand. A Faulquemont, déjà l’usage de l’allemand était très rare ; ici il n’y en a plus trace. Mon hôte, un jeune notaire tout à fait aimable et gentil, ne tarit pas en imprécations contre Napoléon, ce chevalier d’industrie ; mais il tient à rester Français. Il nous dit que ce serait une idée très malheureuse d’annexer à l’Allemagne les parties conquises ; car la population continuerait à s’agiter jusqu’au jour où on la laisserait redevenir française.