Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profiterait pas au jeune prince. Là-dessus est arrivée, tout à fait à l’improviste, la comédie de Paris. Benedetti,… a exigé de la Prusse l’assurance formelle que le prince de Hohenzollern ne pourrait jamais être candidat à ce trône. On lui a répondu que la Prusse en tant qu’État n’avait rien à voir dans la chose, qu’il s’agissait d’une affaire de famille, etc. Mais on est sûr ici que cette affaire espagnole n’est qu’un prétexte, et que, à défaut d’elle, on en aurait inventé une autre, car la France veut la guerre à tout prix. « P. S. — Je reçois, à l’instant, l’ordre royal : demain matin, retour à Berlin par train spécial. »

Dans une lettre du 16 juillet, Wilmowski fait de ce retour à Berlin une description bien frappante :

« Le voyage d’Ems à Berlin n’a été qu’une marche de fête, et plus magnifique que tout ce que je pouvais imaginer. Déjà dans la vallée de la Lahn les plus petites stations sur notre passage étaient encombrées d’une foule qui criait : Hourrah ! Dans les pays où l’on ne pouvait guère s’attendre à une vive sympathie pour le roi, à Giessen et à Gœttingue, la population était folle d’enthousiasme. A Cassel, c’est à peine si nous avons pu passer, le peuple s’était cramponné aux wagons. A Borsum, nous avons vu de loin des drapeaux et entendu des coups de feu : c’était un train spécial venu de Brunswick pour saluer le roi. Et sur tout le parcours, les cris : En France ! A Paris ! Mobilisation ! C’est à Magdebourg que nous espérions trouver les premières nouvelles de la déclaration du ministère français ; mais il n’y avait rien encore. A Brandebourg, le Prince royal, Bismarck, Moltke et Roon sont montés dans notre wagon ; mais toujours pas de nouvelles. C’est ici seulement que nous les avons trouvées. Le roi est entré dans une chambre dont on a laissé la porte ouverte ; Bismarck et le Prince royal lui ont lu les dépêches. La scène était grave et solennelle : le roi avait des larmes dans les yeux ; mais lorsque le Prince royal lut ce mot des ministres français : On nous déclare la guerre, nous vîmes sur son visage un léger sourire. Enfin le Prince royal s’avança vers le public et dit à voix haute : La guerre est déclarée, on va mobiliser ! »

Le 26 juillet, à la veille du départ, Wilmowski écrit :

« Mes conversations avec le roi tous ces jours-ci ont eu un intérêt exceptionnel ; tous les jours j’apprends davantage à aimer et à vénérer ce vieillard. Il considère cette guerre comme devant être très grave. Hier, ayant à l’entretenir d’une affaire que nous ne pouvions discuter maintenant, je lui proposais de l’ajourner à quatre mois : — Pourquoi à quatre mois ? — Parce qu’alors nous aurons de nouveau la paix. — Oh ! je le souhaiterais pour le pays ; mais cette fois la chose est bien plus difficile que les précédentes ! »

Puis l’on part : et c’est, de Berlin à Cologne, de Cologne à Mayence, un nouveau triomphe. Des femmes, des enfans s’écrasent aux portières