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famille berlinoise, en 1870, avec des lettres de campagne, par M. H. de R… Mais il faut que je m’arrête, je n’en finirais pas à vouloir tout citer.

Cette liste abrégée pourra suffire, d’ailleurs, pour faire voir comment il n’y a pas, en Allemagne, si mince témoin des événemens de 1870 qui ne se croie tenu d’apporter au public le détail de son témoignage. Et le public, apparemment, y prend plaisir : plusieurs de ces ouvrages sur la guerre de 1870 ont eu déjà de nombreuses éditions ; et il faut bien admettre que tous trouvent des acheteurs, puisque les libraires ne se fatiguent pas d’en publier de nouveaux. Pourvu qu’on leur parle de cette « glorieuse campagne », les Allemands sont prêts à tout entendre, comme nous pourvu qu’on nous parle de Napoléon. Aussi bien la légende de Sedan a fait en Allemagne le même chemin qu’a fait chez nous la légende napoléonienne : après être apparue au début colossale et lointaine, dans la lumière un peu confuse des manifestations surnaturelles, on veut maintenant la voir de tout près, dans ses parties les plus familières et les plus banales, mais toujours avec la même frénésie d’attendrissement et d’admiration. La légende de Sedan a seulement marché plus vite que celle de Napoléon ; et j’imagine que le gouvernement impérial l’y a beaucoup aidée, car son influence est énorme, aujourd’hui encore, sur tous les mouvemens de l’opinion publique en Allemagne, et rien n’était mieux fait qu’un tel enthousiasme pour le servir dans sa lutte contre les tendances antimilitaires de l’esprit socialiste. La reine Louise, le Tugendbund, Arndt et Kœrner, tout cela, en vieillissant, perdait de son effet : il était urgent d’y substituer une épopée plus fraîche, une épopée ayant ce précieux avantage que la plupart de ses héros vivaient encore, et ne pouvaient manquer d’en affirmer la grandeur.

Mais en dehors de l’intérêt qu’elle offre pour l’entretien du sentiment patriotique en Allemagne, cette littérature sur la guerre de 1870, à en juger par ce que j’en ai vu, est absolument sans valeur. Ni l’historien ni le curieux n’y sauraient trouver leur compte. Les faits y sont notés avec un manque tout à fait extraordinaire de relief et de précision ; point d’autres jugemens que ceux qu’on sent avoir été recommandés aux auteurs par leurs supérieurs hiérarchiques ; des considérations générales sur l’horreur, mais la nécessité de la guerre ; et puis, à tout moment, avec une insistance qui d’abord fait sourire et qui finit par exaspérer, des observations sur la nourriture, de minutieuses descriptions de repas, des doléances sur la cherté, la rareté des victuailles, un refrain de goinfrerie si fort et si prolongé qu’aux momens même les plus tragiques on l’entend encore qui se mêle au bruit du canon.

On pourrait espérer du moins trouver dans ces notes, dans ces lettres familières de militaires allemands, des impressions intéressantes sur la France, les mœurs françaises, le caractère français. Chose singulière, la plupart des auteurs ne paraissent même pas se douter qu’il