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révolutionnaires. Désirant arrêter l’effusion inutile du sang et confiant dans la clémence du comte Loris Mélikof, il se décide à livrer les secrets et les hommes de son parti, avec l’espoir que le gouvernement renoncera aux représailles et que la Russie pourra enfin accomplir pacifiquement son évolution vers un meilleur état social. « Je me dévoue pour tous, ajoute-t-il, espérant que je serai la dernière victime de ces tristes événemens ; s’il en devait être autrement, sachez que chaque goutte du sang de mes frères serait de nouveau payée par le sang de leurs bourreaux. »

Passant au récit des faits, Goldenberg nous initie à la formation et aux métamorphoses du parti révolutionnaire. Jusqu’à l’année 1876, les propagandistes russes étaient isolés, hésitans, sans doctrines et sans liens communs. Le journal Terre et Liberté, qui parut à intervalles irréguliers de 1874 à 1876, ne représentait qu’un petit groupe d’agitateurs, sans ramifications provinciales. Vers la fin de 1876, le parti dit populaire, les narodniki, se dégagea du milieu révolutionnaire avec une ébauche d’organisation et un programme déjà plus précis. Ses membres se vouaient à la propagande des principes socialistes ; leur but était le remplacement de l’ordre de choses actuel par un régime fondé sur ces principes et approprié aux besoins particuliers du peuple russe. Des groupes urbains et ruraux s’établirent sur divers points, en relations avec le groupe central de Pétersbourg, qui se chargeait de procurer aux autres les ressources matérielles, les faux passeports, les livres et journaux.

Au milieu de l’année 1878, une nouvelle affiliation se détacha du parti populaire et prit le nom de parti terroriste. La Volonté du Peuple devint l’organe de cette fraction dissidente. Elle réclamait une action violente, destinée à terrifier le gouvernement et l’opinion. Les adhérens du terrorisme, sentant le besoin de s’organiser plus fortement et de débrouiller la confusion de leurs programmes, se réunirent en congrès à Lipetzk, au mois de juillet 1879. Cette petite ville de la province de Tambof fut le Grutli des conspirateurs russes. Goldenberg y rassembla quinze affiliés dont il donne les noms ; deux d’entre eux, Kviatkovsky et Chiriaef, sont sur le banc des accusés ; les autres se dérobent encore aux recherches de la police. Les séances se tenaient la nuit, sur la bruyère, dans les forêts qui avoisinent Lipetzk. On y arrêta définitivement les cadres d’un gouvernement occulte : ses deux organes centraux étaient la « Commission dirigeante » et le « Comité exécutif », ce fantôme dont il a été si souvent parlé. La première devait diriger tout le mouvement terroriste, procurer les ressources nécessaires et décider les actes de vigueur réclamés par les circonstances ; le