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dépositions écrites. La première journée a été consacrée en entier à la lecture de l’acte d’accusation. Cette pièce groupe les faits de la cause sous les dix chefs suivans :

1° Assassinat du gouverneur de Kharkof, prince Krapotkine, le 9 février 1879[1] ; — 2° Tentative d’assassinat sur la personne de l’empereur, le 2 avril 1879 (attentat de Solovief) ; — 3° Participation au congrès révolutionnaire de Lipetzk ; — 4° Attentats contre la vie de l’empereur, au moyen de mines de dynamite disposées sous la voie ferrée à Odessa et à Alexandrovo, le 18 novembre 1879 ; — 5° Attentat de même nature, suivi d’effet, à Moscou, le 19 novembre 1879 ; — 6° Explosion au Palais d’Hiver, le 5 février 1880 ; — 7° Emploi d’une typographie clandestine, ruelle des Sapeurs, à Pétersbourg ; — 8° Résistance à main armée lors de la descente de police dans cette typographie, le 17 janvier 1880 ; — 9° Résistance à main armée et meurtre d’un surveillant dans une maison de Vassili-Ostrof, le 24 juillet 1880 ; — 10° Distribution de subsides au parti socialiste-révolutionnaire.

Le fondement de l’acte d’accusation est la déposition du juif Goldenberg. C’est un document capital pour l’étude du mouvement révolutionnaire. Ce Goldenberg fut arrêté, en novembre 1879, à la station d’Elisabethgrad, où on le trouva porteur d’une valise pleine de dynamite. Quelque temps après, le bruit courut qu’il s’était pendu dans son cachot. Les gens qu’il a livrés et beaucoup de sceptiques prétendent qu’on l’a interné secrètement en Sibérie, ou même laissé fuir en Amérique. Quoi qu’il en soit de sa disparition mystérieuse, cet individu a fait au magistrat instructeur des aveux complets sur l’assassinat du prince Krapotkine, consommé par lui, sur sa participation aux attentats régicides du 2 avril et du 19 novembre, sur l’organisation du parti dont il était un des principaux chefs. Il a nommé tous ses complices et défini la part de responsabilité de chacun. Le procureur a lu, au cours des débats, la majeure partie de cette longue déposition ; elle dénote une intelligence très supérieure à celle des accusés qui comparaissent aujourd’hui ; elle a produit une impression profonde. Nulle analyse ne saurait en rendre l’accent de sincérité et l’intérêt dramatique.

Goldenberg déclare qu’il a vécu et qu’il mourra dans la foi socialiste ; mais qu’intimement convaincu de l’inanité des efforts tentés à l’heure actuelle pour soulever le peuple russe, il veut arracher le pays à ce cercle fatal de meurtres, commis tour à tour par les révolutionnaires sur les gens du pouvoir, par ces derniers sur les

  1. Je laisse les dates au vieux style, telles que les donnent les pièces russes.