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nommé par le sultan. Près de lui fonctionnent deux conseils distincts, un Synode composé de douze métropolitains nommés pour deux ans et renouvelables chaque année par moitié, et un conseil mixte, μιϰτὸν συμϐούλιον, composé de quatre évêques et de huit laïques élus par les communautés. Au Synode, présidé par le patriarche, sont confiés les intérêts spirituels de la nation : τὰς ὁλὰς πνευματιϰάς ὑποθέσες τοῦ Ἔθνονς ϰατὰ τοὺς ἐϰϰλησιαστιϰοὺς ϰανόνας. Au conseil mixte, dont le patriarche n’est pas membre et où domine l’élément laïque, ressortissent toutes les affaires civiles[1], justice civile, successions, mariages, divorces, instruction publique. Toute décision du conseil doit seulement recevoir l’approbation du patriarche. Comme le patriarche, les évêques sont nommés par la Porte. Par une délégation du patriarcat, ils sont chargés des intérêts spirituels de la communauté orthodoxe dont ils sont chefs ; quant aux intérêts proprement civils de la communauté, ils sont administrés sous la surveillance de l’évêque par un conseil laïque. En réalité, en Turquie comme dans les États orthodoxes, l’État, — représenté ici dans toute sa tyrannie à la fois par la Porte et par l’élément laïque du conseil mixte, — l’État est maître absolu de l’Église, et l’abus même du pouvoir de l’État a engendré dans l’Église de Turquie la corruption et la simonie. Les charges ecclésiastiques dont l’État est l’unique dispensateur sont à vendre au plus offrant.

La soumission de l’Église à l’État est dans toute nation orthodoxe le principe même de l’organisation de l’Église. En droit, c’est donc à l’État que l’Église catholique doit s’adresser d’abord et c’est à lui qu’elle doit proposer « l’Union ». En proposant l’Union, que demande-t-elle à l’État ? L’abandon par l’État de sa suprématie sur l’Église, la reconnaissance par l’État d’une autorité supérieure et extérieure à lui, le renoncement au bénéfice d’une tradition vieille de trente siècles qui consacre en Orient l’omnipotence de l’État. Il est douteux que l’État se dessaisisse volontiers d’un pareil pouvoir. Dans des royaumes parlementaires, — comme la Grèce, la Roumanie, la Serbie, — l’Église, indépendante de l’État, peut devenir entre les mains des adversaires du gouvernement une arme dangereuse d’opposition. Pour la Russie, l’autocratie du tsar demeure, à une époque incertaine et troublée, la seule garantie de son existence. Quant aux laïques de Turquie, l’union avec l’Église catholique entraînerait pour eux la perte de bénéfices auxquels ils ne renonceraient pas de bonne grâce. Enfin,

  1. Notons seulement une tendance de la Porte à enlever de plus en plus aux patriarcats ces privilèges purement civils. C’est ainsi qu’à l’heure actuelle le conseil mixte du patriarcat arménien n’a pas été élu, parce qu’on a interdit les élections, et c’est lui qui est compétent en matière civile.