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nauté des Romains, c’est-à-dire des chrétiens orthodoxes, et porta le nom de Roum-Millet-Bachi[1].

Mais cette organisation entraînait pour l’Église d’Orient de graves conséquences. L’Église d’Orient avait, comme l’Église d’Occident, fait chez les barbares des conquêtes spirituelles : pendant que l’Église d’Occident convertissait les Germains, l’Église d’Orient convertissait les Slaves. Des empires chrétiens s’étaient fondés sous la tutelle des patriarches, et c’est de Constantinople qu’arrivaient les métropolitains de Kief et de Moscou.

Après que le patriarche fut réduit au rôle de fonctionnaire ottoman[2], quelles allaient être ses relations avec un empire indépendant comme la Russie ? Par la fondation du patriarcat de Moscou en 1589, Ivan III rompit avec le patriarche de Constantinople, et deux siècles plus tard, Pierre le Grand ne fit, en remplaçant le patriarcat par le Saint-Synode (1700), que développer et continuer les réformes d’Ivan III. Le principe des églises autocéphales était établi.

Pour la même raison, à mesure que de l’empire ottoman se dégagèrent des nationalités et des États indépendans, ces États se donnèrent des églises autocéphales, c’est-à-dire indépendantes du patriarcat et se gouvernant elles-mêmes. La Grèce suivit la Russie dans cette voie et se sépara définitivement du patriarcat en 1852[3] ; puis ce fut le tour de la Serbie et de la Roumanie. La Bulgarie elle-même qui, en fait, est vassale de la Turquie, vient de se séparer du patriarcat avant même d’être indépendante : ce fut, il est vrai, au prix d’un schisme. Par là, le patriarche qui fut, sous les empereurs byzantins, le chef de toute la chrétienté orientale, n’est plus aujourd’hui que le chef des Grecs orthodoxes de l’Empire ottoman, c’est-à-dire de 5 millions à peine de fidèles, pendant que les autres églises orthodoxes autocéphales en comptent plus de 100 millions.

L’Église orthodoxe orientale s’est donc morcelée en cinq églises

  1. C’est d’après le même principe que les Arméniens, qui possédaient une église particulière indépendante de l’église de Constantinople, formèrent, après la conquête ottomane, une communauté (Millet) administrée par un patriarche. — Plus tard, quand, par extension, au mot de Millet, qui en turc veut dire communauté, s’attacha l’idée, étrangère à l’Islam, de nation ou nationalité, la Porte remplaça ce mot devenu dangereux et suspect par celui de Djemaât, qui veut dire association religieuse.
  2. Il avait rang de pacha à trois queues.
  3. La séparation de la Grèce fut l’occasion de très vifs débats. Se séparer du patriarcat qui avait maintenu, sous la domination turque, la nationalité hellénique, paraissait à de nombreux esprits une noire ingratitude. (Cf. l’Αντίτομος de Pharmakidis et toute la polémique soulevée par ce livre.) Néanmoins, la dépendance où se trouve le patriarche, non seulement de la Porte, mais surtout des puissances étrangères, principalement de la Russie, fut la raison déterminante de la proclamation de l’autocéphalie.