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quent sur le terrain du dogme l’union est possible. Et les catholiques n’ont point tort. Ils l’ont montré victorieusement à Lyon et à Florence.

Les orthodoxes, au contraire, soutiennent qu’en matière de dogme la conciliation et, par suite, l’union est impossible. Et il paraît bien qu’ils aient raison. Qu’est-ce donc que ce dogme qui donne tort et raison aux uns et aux autres ? Ou plutôt, n’est-ce point que cette analogie que l’on pense découvrir entre le dogme des deux Églises, n’existe point en réalité, et qu’en raisonnant chacune sur le dogme, elles raisonnent en réalité sur deux choses très différentes ?

L’Église orientale s’intitule elle-même Église orthodoxe orientale, ὀρθόδοξος ἀνατολιϰή ἐϰϰλησία. Par le titre d’orthodoxe qu’elle se donne, l’Église orientale entend qu’elle est en possession de la vérité et qu’elle est seule à la posséder. Elle se considère comme « l’héritière du Père », prétendant par là que Dieu lui a confié directement son héritage, dont elle est la gardienne élue par Dieu. Cet héritage, c’est la croyance et le dogme orthodoxes. Ce dogme est contenu dans l’Évangile ; il a été établi pour toujours et irrévocablement par les sept premiers conciles œcuméniques : il est immuable. En possession de ce dogme, l’Église d’Orient a pour mission de le conserver et de le transmettre tel qu’elle l’a reçu.

Traditionnelle et conservatrice, telle est donc l’Église d’Orient. Mais dans une pareille Église, le dogme est une matière morte : c’est un cadavre embaumé dans un triple cercueil, une relique inerte dans sa châsse d’or et de pierreries. Par l’effet du temps, ce Verbe qui n’agit plus, figé dans une forme immuable, se transforme en un simple rituel, où, comme dans tous les rituels, certaines formules deviennent obscures et incompréhensibles, et par là même plus chères aux fidèles. Il semble d’ailleurs que l’Orient grec n’ait à aucune époque dépassé cette conception religieuse. Dans la masse énorme de documens, textes ou inscriptions, relatifs à la religion antique des Grecs, qui sont parvenus jusqu’à nous, on a découvert des rituels, des formules ou des recettes destinés à maintenir le fidèle en relations avec la divinité, mais pas une prière, pas une prédication morale, en un mot pas un catéchisme.

Le dogme catholique, au contraire, est essentiellement vivant, c’est-à-dire que, contenant un ensemble de préceptes révélés par Dieu à l’homme pour le guider et le soutenir, le dogme, pour le fidèle, intervient dans tous les actes de la vie. Le dogme est inséparable de la morale : par là, il se meut avec la pensée, il participe au mouvement universel ; il se développerait et se transfor-