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cette œuvre, Léon XIII a multiplié les écrits, les conseils, les manifestations en faveur de l’union des Églises, depuis la lettre écrite en 1878 au cardinal Nina, jusqu’à ce solennel Congrès Eucharistique qui devait être, dans l’esprit du Souverain Pontife, « une muette, mais éloquente invitation[1]. »

La cour de Rome avait fondé sur ce congrès de grandes espérances. Elle voyait l’Orient, remué par ces paroles de paix, accourir en masse pour se grouper autour du pasteur unique. Hélas ! l’Église d’Orient est demeurée impassible ! L’Asie, l’immense Asie, mère des peuples et des religions, n’a point répondu à l’invitation éloquente du Pontife ; elle a accueilli avec indifférence les appels pressans du légat ; c’est à peine si ses paroles ont dépassé l’enceinte de l’Église où elles ont été prononcées. Ni les évêques, ni les prêtres, ni les peuples ne s’en sont émus, comme si la doctrine catholique, qui a soulevé et transformé d’autres pays, ne pouvait avoir prise sur les âmes orientales.

D’où viennent cette indifférence et cette impassibilité ? Est-ce, comme on le reproche quelquefois aux Orientaux, de leur apathie, de leur entêtement ou de leur orgueil ? C’est là une condamnation bien sommaire et dans tous les cas bien injuste, qui enveloppe sous le nom d’Orientaux une multitude de peuples divers, dispersés de la mer Blanche à l’océan Indien, et de l’Adriatique à la mer de Chine. Faudrait-il alors accuser la politique qui divise, et les hommes qui règnent, et ne peut-on pas espérer alors que « l’intérêt » bien entendu des Orientaux les pousse un jour à l’union ? Certes, la politique contribue à séparer les deux Églises, si l’on entend par politique les tendances naturelles qui engagent des races différentes dans des voies opposées. Mais sans parler de la condition actuelle des États de l’Orient, il existe des causes plus profondes de dissentiment. La conception même de l’Église et de son rôle dans l’État, les aspirations et les croyances des peuples suffisent pour expliquer dans le passé et, sans vouloir engager l’avenir, dans le présent, le malentendu qui divise les deux Églises.


I


Pour expliquer la nature du différend qui sépare les deux Églises, on a l’habitude de dire qu’elles sont en désaccord sur le dogme. Les catholiques, qui considèrent le dogme comme le fondement même de la religion orthodoxe, se sont toujours efforcés et s’efforcent encore de prouver qu’entre les deux Églises il n’existe point de différence fondamentale de dogme, et que par consé-

  1. Allocution de Léon XIII aux pèlerins (15 avril 1893).