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sonne s’en aperçût, peu curieux du dénouement, je regagnai ma galère où je pansai une égratignure que j’avais à la main. Le marquis de Santa Cruz était alors à Gênes.

De Gênes, j’allai à Rome. Je baisai le pied de Sa Sainteté Urbain VIII et lui narrai brièvement, du mieux que je pus, ma vie, mes aventures, et mon sexe. Sa Sainteté parut trouver mon cas étrange et m’octroya très gracieusement licence de porter habit d’homme, me recommandant de continuer à vivre honnêtement, de m’abstenir d’offenser le prochain et de me garder d’enfreindre, sous peine de la vengeance de Dieu, son commandement qui dit : Non occides. Là-dessus je pris congé.

Mon cas fut bientôt notoire dans Rome et notable le concours de gens dont je fus entouré, personnages, princes, évêques et cardinaux. Toutes portes m’étaient ouvertes, si bien que, durant le mois et demi que je séjournai à Rome, rare fut le jour où je ne fus invité et fêté chez quelque prince. Particulièrement, un certain vendredi, sur l’ordre exprès et aux frais du Sénat, je fus convié et régalé par des gentilshommes qui m’inscrivirent sur le livre des citoyens romains. Puis, le jour de Saint-Pierre, vingt-neuf de juillet mil six cent vingt-six, ils me firent entrer dans la chapelle, où je vis les cérémonies accoutumées de la fête et les cardinaux. Tous ou quasi tous se montrèrent envers moi fort affables et caressans. Plusieurs me parlèrent, et le soir, me trouvant en une assemblée avec trois cardinaux, l’un d’eux, c’était le cardinal Magalon, me dit que mon seul défaut était d’être Espagnol. À quoi je répliquai : — À mon avis, Monseigneur, et sauf le respect que je dois à votre Illustrissime Seigneurie, je n’ai que cela de bon.



XXVI



Après un mois et demi de séjour à Rome, je partis pour Naples. Le cinq de juillet mil six cent vingt-six, nous nous embarquâmes à Ripa.

Un jour, à Naples, me promenant sur le môle, je remarquai les éclats de rire de deux donzelles qui parlaient avec deux beaux fils en me regardant. Je les dévisageai. L’une d’elles me dit alors : — Madame Catalina, où allez-vous comme ça ? — Vous administrer cent claques sur le chignon, leur répondis-je, et cent estocades au ruffian qui vous oserait défendre ! — Elles se turent et me quittèrent la place…

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C’est là, sur le môle de Naples, en pleine querelle, au mois de juillet 1626, que la Nonne Alferez nous quitte brusquement. Ces