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et remis des lettres d’Espagne. En me voyant, ce bon gentilhomme s’affligea, me fit habiller, me régala et me donna, pour la route, cent écus et un cheval. Je partis.

Je vins à Madrid et me présentai devant Sa Majesté, la suppliant de récompenser mes services que j’exposai dans un mémoire que je remis en ses royales mains. Sa Majesté me renvoya au Conseil des Indes. Je m’y adressai, avec les papiers que j’avais sauvés de mon désastre. Les seigneurs du Conseil me virent et me favorisant, sur avis de Sa Majesté, je fus appointé à huit cents écus de rente viagère, un peu moins de ce que j’avais demandé. Ce fut au mois d’août de mil six cent vingt-cinq. Entre temps, il m’advint à la cour quelques aventures de mince étoffe que j’omets. Peu après, Sa Majesté partit pour les Cortès d’Aragon et vint à Saragosse dans les premiers jours de janvier de mil six cent vingt-six.



XXIV



Je m’acheminai vers Barcelone avec trois amis qui allaient de ce côté. Ayant pris quelque relâche à Lérida, nous nous remîmes en route le Jeudi Saint, après midi. Vers les quatre heures du soir, nous approchions de Velpuche, bien joyeux et libres de souci, quand tout à coup, au tournant du chemin, d’un hallier sur la droite, sortent neuf hommes avec leurs escopettes, les chiens levés, qui nous entourent et nous crient : — Pied à terre ! — Nous ne pûmes qu’obéir et descendre de cheval, trop heureux de le faire vivans. Ils nous prirent armes, chevaux, habits et tout ce que nous avions, sauf nos papiers, que nous leur demandâmes en grâce. Après les avoir examinés, ils nous les rendirent sans nous laisser un fil d’autre.

À pied, nus, honteux, nous poursuivîmes notre chemin et entrâmes à Barcelone le Samedi Saint de mil six cent vingt-six, dans la nuit, sans savoir, moi du moins, que devenir. Mes compagnons tirèrent je ne sais de quel côté, cherchant leur remède. Quant à moi, de porte en porte, récitant mon lamentable cas, je récoltai quelques haillons et une méchante cape pour me couvrir. La nuit s’avançant, je me réfugiai sous un portail, où je trouvai d’autres pauvres hères couchés. J’appris d’eux que le roi était céans et que le marquis de Montes Claros, brave et charitable cavalier que j’avais hanté et entretenu à Madrid, était à son service. Au matin, je l’allai trouver et lui contai ma disgrâce. Le bon seigneur s’affligea de me voir en si pitoyable état, me fit incontinent vêtir et, saisissant l’occasion, m’introduisit auprès de Sa Majesté.

J’entrai et relatai à Sa Majesté, fort ponctuellement, ma més-