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Nous entrâmes dans Lima à la nuit close, et néanmoins nous ne pouvions avancer à travers la foule des curieux qui voulaient voir la Nonne Alferez. On me fit descendre chez le seigneur archevêque. J’eus toutes les peines à entrer. Je baisai la main de Sa Seigneurie, qui me régala à merveille et m’hébergea cette nuit-là. Le lendemain matin, on me mena au palais voir le vice-roi don Francisco de Borja, comte de Mayalde et prince d’Esquilache, qui gouverna le Pérou de l’an mil six cent quinze à mil six cent vingt-deux. Je dînai chez lui ce même jour. Je rentrai à la nuit chez le seigneur archevêque, où je trouvai bon souper et bon gîte.

Le lendemain, Sa Seigneurie me dit de voir et de choisir le couvent où il me plairait demeurer. Je lui demandai la permission, qu’il m’octroya, de les visiter tous. J’entrai dans tous et les vis tous, restant trois ou quatre jours dans chacun. Finalement, je me décidai pour celui de la Très Sainte Trinité des Commanderesses de Saint-Bernard, grand couvent où sont entretenues cent religieuses de voile noir, cinquante de voile blanc, dix novices, dix converses et seize servantes. J’y séjournai juste deux ans et cinq mois, jusqu’à ce que vinrent d’Espagne les preuves authentiques que je n’avais été ni n’étais nonne professe. Sur quoi, je fus autorisée à sortir du couvent, à l’universel regret des nonnes, et me mis en route pour l’Espagne.

J’allai tout d’abord à Guamanga voir les dames du couvent de Sainte-Claire et prendre congé d’elles. J’y fus retenue huit jours avec bien de l’agrément, cadeaux et regrets au départ. Je continuai mon voyage vers la cité de Santa-Fé de Bogota dans le nouveau royaume de Grenade. Je vis le seigneur évêque don Julian de Cortazar, qui me pressa instamment d’y rester dans le couvent de mon ordre. Je lui répondis que je n’étais d’aucun ordre ni couvent et que je n’avais d’autre souci que de retourner au pays, où je ferais ce qui me semblerait plus convenable à mon salut. Sur ce et avec un beau présent qu’il me fit, je pris congé. Je passai à Zaragoza en remontant le fleuve de la Madalena. J’y tombai malade. Le terroir est, à mon avis, malsain pour les Espagnols. J’y fus à la mort. Au bout de quelques jours, allant un peu mieux, un médecin me fit partir. Je ne me tenais pas encore sur mes pieds. Je descendis le fleuve jusqu’à Tenerife, où je me rétablis promptement.



XXII



L’armada du général don Tomas de Larraspuru se trouvant à Carthagène en partance pour l’Espagne, je m’embarquai sur la