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je m’y refusai ; il s’obstina, je tins bon. Il se mit à pleuvoir des moines. J’en étais submergé, mais j’étais devenu un vrai Luther. Enfin, ils me vêtirent d’un habit de taffetas et me hissèrent sur un cheval, le corrégidor ayant répondu à leurs instances que, si je voulais aller en enfer, cela ne le regardait point. On me tira de la prison, me conduisant par des rues détournées et peu fréquentées, de peur des moines. J’advins au gibet. Les moines m’avaient ôté tout jugement, à force de cris et de poussées. Ils me firent monter quatre échelons, et celui qui m’assommait le plus était un dominicain, Fray Andrès de San Pablos, que j’ai vu et à qui j’ai parlé, à Madrid, il y a à peu près un an, dans le collège d’Atocha. Je dus monter plus haut. On me jeta le voletin (c’est le mince cordeau avec lequel on pend). Le bourreau me le mettait de travers. — Ivrogne, lui dis-je, mets-le bien ou ôte-le, car ces bons Pères m’ont suffisamment jugulé !

J’en étais là, lorsque entra à toute poste un courrier de la cité de la Plata dépêché par le secrétaire, sur l’ordre du président don Diego de Portugal, à la requête de Martin de Mendiola, Biscayen, qui avait été informé de mon procès. Ce courrier rendit en mains propres au corrégidor, par-devant un greffier, un pli dans lequel l’Audience lui ordonnait de surseoir à l’exécution de la sentence, et de remettre l’accusé et les pièces à la Royale Audience, à douze lieues de là. La cause en fut singulière et manifeste miséricorde de Dieu. Il paraît que ces témoins soi-disant oculaires qui déposèrent contre moi dans l’affaire du meurtre du Portugais tombèrent aux mains de la justice de la Plata pour je ne sais quels méfaits, et furent condamnés à la potence. Au pied du gibet, ils déclarèrent, sans savoir l’état où j’étais, que, induits et payés, ils avaient, sans me connaître, faussement témoigné contre moi dans cette affaire d’homicide. C’est pourquoi l’Audience, à la requête de Martin de Mendiola, s’émut et ordonna le renvoi.

Cette dépêche venue si à point excita l’allégresse du peuple compatissant. Le corrégidor me fit ôter du gibet et ramener à la prison, d’où il m’expédia sous bonne garde à la Plata. À peine arrivé, mon procès fut revu et annulé sur la déclaration faite par ces hommes au pied de la potence, et, n’ayant rien autre à ma charge, je fus relâché au bout de vingt-quatre jours. Je séjournai quelque temps à la Plata.



XIII



De la Plata, je passai à la cité de Cochabamba, afin d’y régler des comptes qu’avait ledit Juan Lopez de Arquijo avec don Pedro