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affluèrent. Le cas y fut férocement agité. L’autre dame demeura dans l’église au milieu de semblable concours des siens, sans oser sortir jusqu’à l’entrée de la nuit que vint don Pedro son mari accompagné de don Rafael Ortiz de Sotomayor, corrégidor (qui est aujourd’hui à Madrid), chevalier de Malte, des alcades ordinaires et de sergens, avec des torches allumées pour la reconduire chez elle.

En suivant la rue qui va de San Francisco à la place, on entendit un bruit de rixe et de couteaux. Corrégidors, alcades et sergens y allèrent, laissant la dame seule avec son mari. Au même temps un Indien passa en courant et, au passage, lança à madame doña Francisca Marmolejo un coup de couteau ou de rasoir à travers le visage, le lui coupa de part en part et continua sa course. Le coup fut si soudain que son mari don Pedro ne s’en aperçut pas tout d’abord. Mais bientôt le tumulte fut extrême. Vacarme, confusion, rassemblement, nouveaux coups de couteau, arrestations, le tout sans s’entendre.

Entre temps, l’Indien alla à la maison de madame doña Catalina et, en entrant, dit à Sa Grâce : — C’est fait.

L’inquiétude grossissait avec la crainte de plus grands malheurs. Il dut résulter quelque chose des diligences qui furent faites, car le troisième jour, le corrégidor entra chez doña Catalina, qu’il trouva assise sur son estrade. Il reçut son serment et s’informa si elle savait qui avait coupé la figure à doña Francisca Marmolejo. Elle répondit que oui. Il lui demanda qui c’était : — Un rasoir et cette main, repartit-elle. — Là-dessus, il sortit, lui laissant des gardes.

Il interrogea un à un les gens de la maison et en vint à un Indien auquel il fit peur du chevalet. Le lâche déclara qu’il m’avait vu sortir sous un habit et perruque d’Indien que m’avait donnés sa maîtresse, que Francisco Giguren, barbier biscayen, avait fourni le rasoir et qu’il m’avait vu rentrer et entendu dire : — C’est fait. — Le corrégidor prit acte, m’arrêta, moi et le barbier, nous chargea de fers, nous sépara et nous mit au secret. Quelques jours passèrent ainsi. Une nuit, un alcade de la royale Audience qui avait pris la cause en main et avait, je ne sais pourquoi, arrêté des sergens, entra dans la prison et fit donner la question au barbier, qui avoua aussitôt son cas et le fait d’autrui. Après quoi, ce fut mon tour. L’alcade reçut ma déclaration. J’affirmai énergiquement ne rien savoir. Il passa outre et me fit dépouiller et mettre sur le chevalet. Un procureur entra, alléguant que j’étais Biscayen et qu’il n’était loisible de me bailler la torture, pour cause de privilège de noblesse. L’alcade n’en