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Santo Domingo. Au corrégidor qui leur criait : — Qui vive ? — ils ne sonnèrent mot et se retiraient. À une deuxième sommation, quelques-uns répondirent : — La liberté ! — Le corrégidor avec plusieurs autres, au cri de : — Vive le Roi ! — leur courut sus, nous autres le suivant à balles et taillades. Ils se défendirent. Après les avoir resserrés dans une rue, les prenant à revers, nous les chargeâmes si roidement qu’ils se rendirent. D’aucuns s’échappèrent. Trente-six furent pris et, parmi eux, l’Ibañez. Nous trouvâmes sept des leurs et deux des nôtres morts. Il y eut, des deux côtés, nombre de blessés. Quelques prisonniers furent mis à la torture et confessèrent leur dessein de se soulever avec la ville, cette nuit même. Aussitôt trois compagnies de Biscayens et de gens des montagnes furent levées pour la garde de la cité. Quinze jours après, ils furent tous pendus, et la ville demeura tranquille.

Sur ce, à cause de quelque brave action que je dus faire ou que j’avais antérieurement faite, l’office d’adjudant sergent-major me fut octroyé. Je le remplis deux ans durant. Tandis que je servais ainsi au Potosi, le gouverneur don Pedro de Legui, de l’habit de Saint-Jacques, donna l’ordre de lever des gens pour les Chunchos et El Dorado, pays d’Indiens de guerre, à cinq cents lieues du Potosi, terre riche en or et pierreries. Don Bartolomé de Alba était mestre de camp. Il fit les préparatifs de l’expédition et, tout étant à point, au bout de vingt jours, nous quittâmes le Potosi.



IX



Partis du Potosi vers les Chunchos, nous parvînmes à un village d’Indiens de paix nommé Arzaga, où nous demeurâmes huit jours. Nous prîmes des guides pour la route, ce qui ne nous empêcha pas de nous perdre et de nous voir en grand désarroi sur des roches plates d’où furent précipitées cinquante mules chargées de vivres et munitions et douze hommes.

Entrant dans l’intérieur du pays, nous découvrîmes des plaines plantées d’une infinité d’amandiers pareils à ceux d’Espagne, d’oliviers et d’arbres à fruits. Le gouverneur y voulait faire des semailles pour suppléer à la perte de nos vivres. L’infanterie n’y voulut point entendre, disant que nous n’étions pas venus pour semer, mais pour conquérir et récolter de l’or et que nous trouverions notre subsistance. Ayant passé outre, le troisième jour, nous découvrîmes une peuplade d’Indiens qui nous reçurent en armes. Nous avançâmes. Sentant l’arquebuse, ils s’enfuirent épouvantés, laissant quelques morts. Nous entrâmes dans le village, sans avoir pu prendre un Indien de qui savoir le chemin.