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pagne. Les Indiens prirent et ruinèrent ladite ville de Valdivia. Nous leur sortîmes à l’encontre et, dans trois ou quatre batailles, toujours les maltraitâmes et défîmes. Mais à la dernière affaire, du renfort leur étant venu, la chose tourna mal pour nous. Ils nous tuèrent beaucoup de monde, plusieurs capitaines et mon alferez, dont ils prirent l’enseigne. La voyant enlever, nous nous lançâmes derrière, moi et deux autres cavaliers, au milieu de la presse, foulant, frappant et recevant force horions. Bientôt, un des trois tomba mort. Nous poursuivîmes, nous atteignîmes l’enseigne. Mon camarade fut renversé d’un revers de lance. Je reçus un mauvais coup à une jambe, et je tuai le cacique qui portait l’enseigne et la lui repris, poussant mon cheval, foulant, occisant et blessant à merveille, mais aussi lourdement blessé, traversé de trois flèches et d’un coup de lance à l’épaule gauche, que je sentais cruellement. Enfin, je parvins jusqu’à nos gens et me laissai choir de cheval. Quelques-uns accoururent et, parmi eux, mon frère que je n’avais pas revu. Ce me fut un réconfort. On me guérit, et nous demeurâmes logés là. Au bout de neuf mois, mon frère m’obtint du gouverneur l’enseigne que j’avais gagnée et je devins alferez de la compagnie de don Alonso Moreno. Peu de temps après, cette compagnie fut donnée à don Gonzalo Rodriguez, mon premier capitaine. J’en fus fort aise.

Je fus cinq ans alferez. Je me trouvai à la bataille de Puren, où mourut mon dit capitaine, et commandai la compagnie six mois environ, durant lesquels j’eus, non sans diverses blessures de flèches, plusieurs rencontres avec les ennemis. Dans l’une d’elles, j’eus affaire à un chef indien, déjà chrétien, nommé don Francisco Quispiguancha, homme riche, qui nous avait fort inquiétés par diverses alarmes. Bataillant avec lui, je le désarçonnai, il se rendit à moi et je le fis sur-le-champ brancher à un arbre. Le Gouverneur, qui désirait l’avoir vivant, en fut très fâché et dit que, pour ce fait, il ne m’avait point donné la compagnie. Il la donna au capitaine Casadevante, me réformant et me la promettant pour la première occasion.

Les troupes se retirèrent, chaque compagnie à sa garnison, et je passai au Nacimiento, bon seulement de nom et, pour le demeurant, une vraie mort. On y avait, à toute heure, les armes à la main. Je n’y restai que peu de jours, car le mestre de camp don Alvaro Nuñez de Pineda y vint, d’ordre du Gouverneur, et en retira, ainsi que d’autres garnisons, jusques à huit cents hommes de cavalerie pour le Val de Puren. J’en fus, avec d’autres officiers et capitaines. Nous allâmes audit Val et y fîmes, six mois durant, force dommages, dégâts et incendies de récoltes. Après