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ferme. Ce que voyant, mon maître me proposa de passer à Truxillo, avec les mêmes commodités et emploi. J’acceptai.



IV



Je passai à la cité de Truxillo, évêché suffragant de Lima, où mon maître m’avait levé boutique. J’y entrai et me mis à débiter en la même guise qu’à Saña, à l’aide d’un autre livre comme le premier, où je tenais compte des prix et crédits. Deux mois passèrent ainsi.

Un matin, vers les huit heures, j’étais, dans ma boutique, à payer une lettre de change de mon maître de quelque vingt-quatre mille pesos, lorsque entra un nègre qui me dit : — Il y a à la porte des hommes qui ont l’air d’être armés de rondaches. — Je pris l’alarme, dépêchai mon receveur après en avoir tiré reçu, et envoyai quérir Francisco Zerain. Il vint incontinent et reconnut les trois hommes qui se tenaient à l’entrée. C’étaient Reyes, avec son ami, celui que j’avais couché d’une estocade à Saña, et un autre. Après avoir recommandé au nègre de clore la porte, nous sortîmes dans la rue. Aussitôt ils nous chargèrent. Nous les reçûmes et, nous escrimant, ma malechance voulut que j’allongeasse, je ne sais où, un coup de pointe à l’ami de Reyes. Il tomba. Nous continuâmes à batailler deux contre deux, avec du sang.

En ce point, survint le corrégidor don Ordoño de Aguirre avec deux sergens. Il m’empoigna. Francisco Zerain gagna au pied et entra en lieu saint. Tout en me menant lui-même à la prison (les sergens étaient occupés avec les autres) le corrégidor me demanda qui et d’où j’étais. Ayant entendu que j’étais Biscayen, il me dit en basque de détacher, en passant devant la cathédrale, la ceinture de cuir avec laquelle il me tenait et de m’y réfugier, ce que je m’empressai de faire. Je me sauvai dans l’église, et lui resta à jeter les hauts cris.

Réfugié là, j’avisai mon maître à Saña. Il vint sans retard et tâcha d’accommoder l’affaire, mais il n’y eut pas moyen parce qu’on renforça l’homicide de je ne sais quelles autres vétilles. Il se fallut résoudre à me faire filer à Lima. Je rendis mes comptes, mon maître me fit faire deux habits, me donna deux mille six cents pesos et une lettre de recommandation, et je partis.



V



Parti de Truxillo, après plus de quatre-vingts lieues de route, j’entrai dans la cité de Lima, capitale de l’opulent royaume du