Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la théorie brahmanique, est le terme qui correspond précisément à la notion de caste. La concession n’était que provisoire. Elle veut être limitée. Employé d’abord pour marquer une opposition de couleur entre deux populations rivales, fractionné ensuite, si j’ose ainsi dire, pour être étendu non plus à ces deux varnas primitifs, mais à des catégories plus nombreuses, il n’a pas perdu toute trace de ses origines. Il ne désigne, pas la caste en général et dans le sens rigoureux, mais seulement « les quatre castes ». Il s’applique uniquement à ce que, quelque part un livre épique, le Harivamça, appelle les « quatre castes légales ». Pour désigner les autres, ces castes secondaires ou mélangées qui correspondent, non à des divisions théoriques, mais aux vraies castes, telles que nous les voyons vivre et agir, les Livres de lois ont un autre terme, jâti. Il fait précisément pendant par le sens au mot « caste », puisqu’il veut dire « naissance, race ». C’est, je crois dans cette acception, non dans celle de « famille », qu’il le faut entendre partout où remploient Manon, Yâjnavalkya, et les autres. Cette distinction entre les deux termes, on a eu le tort de n’en point tenir un compte suffisant. Elle perpétue jusqu’à une époque assez basse le souvenir des deux élémens qui sont combinés dans la théorie brahmanique.

La conclusion s’impose.

Dépositaire d’un passé lointain, le Véda reflète une division de classes dont la comparaison de l’Iran, d’autres indices encore, attestent l’antiquité très haute. La littérature plus moderne se trouvait, elle, tout à la fois contemporaine, dès ses origines, d’un régime de castes, et prisonnière de la tradition védique, tenue d’en accepter sans réserve ; tout l’héritage. Souvenirs du passé et réalités du présent se fondirent dans un système hybride ; le régime vivant des castes s’encadra dans de vieilles divisions de races et de classes qui furent démarquées à cet effet. Ces incohérences n’étaient pas pour effrayer une spéculation scolastique plus qu’aucune autre dédaigneuse des faits et de l’histoire. Son œuvre était d’ailleurs facilitée par ce qui, jusque dans l’émiettement des castes, survivait certainement de l’esprit de classe.

Aujourd’hui encore, l’orgueil de classe pénètre tous les brahmanes ; il domine toutes les inégalités, toutes les différences qui les séparent au vrai en une multitude de castes. A plus forte raison devait-il en être de même, en un temps où, la diffusion du peuple aryen étant moindre, le mélange des races moins avancé, le fractionnement était encore plus restreint. Même chez l’aristocratie guerrière, et quel qu’ait été son morcellement en clans,