Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces termes, il est visible, je pense, qu’ils sont une dérivation de la formule ancienne, une dérivation technique et savante. Le régime auquel ils sont associés n’est pas le simple prolongement spontané, organique, de la situation que reflète le Véda ; comme les mots dans lesquels il s’incarne, il représente un système réfléchi, adapté à des conditions ou entièrement nouvelles ou au moins très différentes de celles d’où découlait la triple division primitive. C’est retourner la relation vraie que d’interpréter les témoignages védiques par la théorie brahmanique d’un âge plus récent.

Au-dessous des tribus aryennes et affrontées comme des adversaires constans, les hymnes ne connaissent que le dâsa varna, la population ennemie, qu’ils appellent aussi Dasyous. Les Çoûdras leur sont inconnus. Le nom des Dasyous a au contraire été repris par la littérature et affecté aux couches les plus basses de la population, à celles qui, n’ayant aucune place régulière dans les cadres brahmaniques, sont quelquefois, et jusqu’à l’heure actuelle, désignés comme outcasts. Ou il n’existait à l’époque védique aucune couche de population correspondant aux Çoûdras, à la fois exclue de la communauté âryenne et rattachée à elle par certains liens assez lâches pour assurer sa dépendance sans compromission fâcheuse ; ou, si elle existait, les poètes dont les chants nous sont parvenus n’ont pris aucun souci de lui assigner une place à part, en dehors de la masse des Dasyous. Preuve nouvelle que le système est tout autre chose que le développement normal de la situation védique.

Que les Viças du Véda n’aient point circonscrit une caste, qu’elles englobent tout ce qui, dans la population aryenne, n’était pas distingué par des fonctions sacerdotales ou par un rang aristocratique, que, par conséquent, la théorie brahmanique ait, en créant le dérivé vaïçya, fait du primitif une application en partie arbitraire, historiquement fausse, nous en avons un indice qu’il ne faut point oublier. Le nom d’arya, quoiqu’il ne paraisse pas usité ainsi dans les hymnes, est incontestablement synonyme iYârya. Il est parfois employé ainsi par la littérature sacerdotale ; mais il est surtout appliqué spécialement aux vaïçyas. On se souvenait donc fort bien que les vaïçyas formaient en réalité toute la classe des hommes libres, le gros de la nation. Entre ce vague groupement et la caste véritable, nécessairement plus restreinte, adonnée à une profession définie, reliée par une commune descendance, enfermée dans des règles particulières, gouvernée par des coutumes propres, il y a un abîme.

J’ai admis jusqu’ici, comme on fait d’ordinaire, que varna,