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pouvoir royal ou, d’une façon plus générale, la dignité des nobles ait eu une tendance marquée à se fixer par une hérédité plus ou moins rigoureuse, le fait est universel. Mais il faut assurément une forte prévention, le parti pris de retrouver dans le passé les enseignemens du système brahmanique, pour découvrir, dans cette triple classification, des castes au sens strict du mot, telles que les suppose la doctrine ou l’usage plus moderne. Aucun des caractères qui font la caste n’est expressément mentionné.

Les trois termes sont parfois rapprochés ; ils embrassent visiblement tout l’ensemble du peuple aryen. Un vers assure que « les viças (les clans) s’inclinent spontanément devant le chef (râjan) que précède un brahmane (brahman) », c’est-à-dire, pour parler le langage technique, devant le roi qui a un ponrohita ou prêtre domestique. Tout en constatant que les prétentions du pouvoir sacerdotal sont déjà établies, il présente la situation sous son vrai jour : le roi et le prêtre, dans la fonction qui leur est propre, mis en regard du peuple entier. Nous sommes en présence de classes plus ou moins fermées et jalouses, non pas de castes. On ne peut cependant méconnaître que cette triple division corresponde exactement aux trois premières castes de la théorie brahmanique. Comment expliquer la chose ?

Des noms que portent les trois castes, brâhmana se trouve seul dans les hymnes (en faisant, comme il convient, abstraction de l’hymne à Pourousha dont j’ai parlé plus haut et qui suppose achevé ce système dont nous voulons sonder les origines). Encore y est-il rare. Le primitif brahman est fréquent ; au neutre, c’est le terme consacré pour embrasser l’ensemble des fonctions sacerdotales. Des deux titres qui dans la suite désignent les guerriers, kshatriya, qui, comme épithète exprimant la puissance, accompagne à plusieurs reprises le nom de certains dieux, n’est appliqué à des chefs qu’une ou deux fois, dans des passages suspects d’appartenir à une époque récente, râjanya est inconnu. En revanche, le simple râjan est le titre courant des nobles ; le thème kshatra résume l’idée de la puissance royale. Le nom des vaïçyas est étranger aux hymnes ; le primitif viç est, au pluriel, le nom invariable de ces « clans » qui constituent la masse de la nation. La trinité brahma, kshatra et viç, embrassant toute la population aryenne, ne se rencontre pas seulement dans le Véda. Dans la littérature postérieure des Brâhmanas, elle reste consacrée. Elle se répète, avec une insistance qui témoigne d’une origine ancienne et respectée, dans les livres mêmes qui connaissent et emploient à l’occasion les termes définitifs : Brâhmana, Kshatriya, Vaïçya.