Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

générales, nous serions amenés à une foule de réserves pareilles. Sachons démêler la signification de ces incertitudes, de ces contradictions. Elles relèvent, suivant les cas, d’explications diverses. A prendre à la lettre certains passages, il semblerait que la dignité de brahmane fut alors le prix du savoir et de la vertu, plus que le privilège du sang. Mais une expérience que vérifie toute la littérature postérieure nous enseigne ce que signifie ce langage : ce n’est rien qu’un détour pour glorifier la vertu et le savoir supposés des prêtres ; il n’emporte en aucune façon l’oubli des droits que crée, que crée seule la naissance. Il se pourrait, en un sens, justifier littéralement : la négligence des obligations religieuses, dont l’ignorance ou le vice peuvent devenir la source, suffit à faire déchoir de la caste.

Si, pour les brahmanes, les expiations sont ici rendues, en nombre de cas, singulièrement douces, faut-il en conclure qu’on n’attachait que peu de prix aux prérogatives dont elles étaient destinées à restituer l’intégrité ? Je le crois d’autant moins que, aujourd’hui encore, les purifications et les amendes sont souvent, nous l’avons vu, fort légères. Que l’on songe d’ailleurs à cette glorification passionnée de la grandeur des brahmanes qui s’étale partout ici, à l’exagération absurde des honoraires qui sont réclamés pour leur intervention dans les sacrifices et qui se montent jusqu’à des centaines de milliers de vaches, au sang-froid avec lequel on déclare que le devoir d’un arbitre est, en face d’un adversaire plus humble, de donner toujours raison à un brahmane, quels que soient ses torts ! Comment les auteurs ou rédacteurs de ces livres, tous brahmanes, auraient-ils marchandé aux brahmanes les facilités soit pour tourner ou limiter des obligations pénibles, soit pour expier leurs fautes ? Cette indulgence même prouve de quel prestige ils étaient dès lors investis.

Nul doute, cette littérature repose déjà sur le terrain que révèlent les Livres de lois ou l’Epopée. C’est s’aveugler à plaisir que d’y chercher un témoin contemporain de la formation du régime. Mais, par ses exagérations, par l’inspiration si exclusive dont elle est pénétrée, elle montre plus clairement encore à l’œuvre, les inclinations, les intérêts, les travers d’où est sorti, non le régime lui-même, mais le système qui lui a donné ; sa forme dogmatique. Elle en dénonce, elle en précise le caractère artificiel et spéculatif. Or, par ses racines au moins, elle touche aux couches littéraires les plus primitives ; parmi les Hymnes védiques, plusieurs sont, à n’en pas douter, contemporains de l’époque où elle-même s’élaborait sous la main des prêtres.

Un de ces hymnes passe pour le document le plus ancien qui