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disait sa messe, une charte céleste, qui faisait rémission à Charlemagne d’un honteux péché ? Même la biche qui vécut dans l’ermitage du saint, et lui donna son lait, sa « tendre nourrice » qui, blessée, se réfugiait à ses pieds, ne serait qu’un animal fabuleux, et, pareillement, le buffle de saint Calais, le lièvre de saint Martin, le sanglier de saint Emilien ? Le « grand ami et serf de Notre-Seigneur » serait un inconnu, dont nul ne peut rien savoir, sauf ceci : « Gilles était, sans doute, un Provençal qui obtint, en 673, du roi visigoth Wamba, la concession de la vallée flavienne, y bâtit un monastère et l’offrit au pape en 685 » ? et tout le reste n’est que légende ? — Ces affirmations singulières ne troubleraient pas notre trouvère dans sa foi sereine ; il n’y verrait que maléfices de l’Ennemi. et notre supériorité sur lui est de le comprendre, lui qui ne nous comprendrait pas. Notre avantage, ce n’est pas tant de suivre avec joie la fine discussion où M. Gaston Paris débrouille les fils de ces traditions ; c’est de retirer, de cette dissection rationaliste elle-même, une intelligence plus sympathique des légendes miraculeuses. Après que ces œuvres étranges ont été pour nous objet d’analyse, nous suivons avec plus de charme saint Gilles dans sa vie érémitique, Owen vers le purgatoire mystérieux de saint Patrice, saint Brandan sur la mer fortunée, à la recherche du pays d’éternelle jeunesse ; nous contemplons avec plus de respect la colline de la Wartbourg dont sainte Elisabeth descend les sentiers, tenant de ses deux mains son tablier où les roses fleuris sent. Car, à travers le fatras des lieux communs hagiographiques, la critique nous permet de discerner enfin et d’atteindre le spontané, le travail poétique et puissant de l’imagination populaire.

La littérature religieuse didactique est représentée dans notre collection par les Contes moralizés du franciscain anglais Nicole Bozon. C’est une collection d’exemples, c’est-à-dire d’apologues, de fabliaux, d’historiettes scientifiques, de bons mots, d’anecdotes historiques, destinés à illustrer les sermons. La prédication du XIIIe et du XIVe siècle, surtout la prédication franciscaine, aux allures populaires, fut assurément une chose charmante. On voit s’y développer cette faune et cette flore poétiques, venues de l’apocalypse et de Pline, qui ont fourni à l’architecture sacrée tant de motifs de décoration semi-hiératiques, semi-fantaisistes. « Interroge, dit le livre de Job, les animaux de la terre et les oiseaux du ciel, et ils t’instruiront ; parle à la terre et elle te répondra et les poissons de la mer t’enseigneront. » C’est pourquoi le prédicateur exploite les bestiaires, les volacraires et les lapidaires ; il rapporte les propriétés symboliques du chrysoprase, de la perle, de l’adamas, de la mandragore, du jais, de l’hysope ; il connaît la signifiance de l’antilope, de l’unicorne, de la sirène, du lévrier, du