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à l’égard des monumens du moyen âge, comme les humanistes en présence de l’héritage antique. « Œuvre sainte ! s’écrie Michelet ; ceux qui y mirent les premiers la main furent saisis d’une émotion religieuse et d’une anxiété immense. Imprimeurs, correcteurs, éditeurs, ils ne dormaient plus. Ils demandaient à Dieu de réussir, et leur travail était mêlé de prières. Ils sentaient que ces lettres de plomb, viles et ternes, étaient la Jouvence du monde, le trésor d’immortalité. » — Certes, les savans éditeurs de la Société des Anciens Textes n’ont pas, comme ceux du XVIe siècle, pour les soutenir dans leur tâche, l’applaudissement universel, la complicité de tout un peuple ; nos modestes érudits ne rêvent pas, comme Pétrarque, de voies triomphales : ils seraient trop déçus, s’ils enviaient l’enthousiasme qui accueillait Jean Lascaris à son retour d’Orient, lorsqu’il abordait en Italie avec sa cargaison de manuscrits grecs. La fleur pâle du moyen âge, dont ils s’efforcent de raviver le parfum, ne grise pas aussitôt, comme celle de la sagesse antique, ceux qui la respirent un moment. Mais, comme les hommes de la Renaissance, ils se sentent les ouvriers d’une tâche indéfinie et belle ; ils savent que leur œuvre est la même que les humanistes poursuivaient ; et, comme ils ont sur eux la supériorité du point de vue historique, ils la poursuivent avec une plus claire conscience du but.

Mais notre grand avantage sur les humanistes, c’est d’avoir hérité de leurs méthodes. Les principes de la critique verbale, les lins procédés de l’analyse linguistique, tous ces outils délicats et sûrs, si amusans à manier, ils ne les ont découverts que lentement, au prix d’infinis tâtonnemens. Nous les avons reçus de leurs mains, déjà parfaitement agencés, élégans et efficaces : d’où une inappréciable économie de temps, peut-être de siècles. Il y a vingt ans seulement que M. G. Paris appliquait, le premier, à un poème français du XIe siècle, à la Vie de saint Alexis, les mêmes règles qui ont servi à établir le texte de Platon et de Virgile ; et déjà l’application des méthodes de la philologie classique à la publication de nos vieux auteurs est d’usage constant. C’est une règle stricte que la Société des Anciens Textes s’est imposée : elle n’admet que des éditions critiques, c’est-à-dire fondées sur l’emploi raisonné de tous les manuscrits conservés. Puisque nous avons le pouvoir de restituer nos anciens auteurs en leur primitive intégrité, à quoi bon ces éditions de fantaisie, ces textes établis par la divination et le caprice, qui ne donnent au critique littéraire, à l’historien des mœurs, aucune sécurité, qui l’expo sent à la déconvenue comique de fonder une théorie sur un passage corrompu par un scribe ? Qui donc voudrait étudier la philosophie de Pascal, tant qu’il n’aurait sous la main que l’édition