Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/914

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’or des rapsodies, de la cacographie, du fatras ? De bons esprits ne rêvent-ils pas quelque grandiose incendie d’Omar, la venue de barbares qui réduiraient en cendres nos bibliothèques, afin que, de la flamme des paperasses, l’esprit moderne s’évade joyeux, purifié, affranchi ?

Il faut tout publier pourtant, même ce qui nous paraît médiocre et plat. C’est un paradoxe, sans doute ; mais c’est une vérité ! Il importe que tout soit imprimé, mais il n’est pas nécessaire que tout soit lu. Les œuvres inutiles s’annulent d’elles-mêmes ; elles retournent spontanément à leur néant et ne sont, à vrai dire, encombrantes qu’aussi longtemps qu’elles existent dans les manuscrits. Nul ne lit plus et, sans doute, nul ne lira plus jamais Pradon, l’abbé Royer ni Campistron ; pourtant, si Pradon était inédit, il serait bon de l’imprimer, car, inédit, il resterait mystérieux et gênant. D’ailleurs, les tragédies de Pradon sont utiles, puisqu’elles permettent de mesurer l’originalité de Racine ; les œuvres médiocres sont précieuses, parce qu’elles indiquent la moyenne des goûts et de la culture aux époques diverses ; elles forment l’arrière-plan nécessaire de la toile sur laquelle se détachent les œuvres supérieures. Ajoutez que, si l’on considère le moyen âge, il ne suffit, pas qu’un auteur soit un sot prouvé pour que son œuvre soit négligeable : car, étant donné que la propriété littéraire était alors chose ignorée, que chaque thème lyrique, épique, romanesque était commun à tous, indéfiniment transmissible, il arrive qu’une légende admirable ne nous soit conservée que par un terne remanieur. Il est rare, à cette époque, qu’une œuvre vaille par elle seule : elle est souvent un anneau de plomb, grossier mais nécessaire, dans une chaîne d’or.

Mais voici la raison qui exige la publication intégrale de nos textes. Sans doute, l’avenir rejettera dans l’éternel oubli l’immense majorité de ces écrits ; mais nous sommes, nous, inhabiles à faire ce départ, et le malheur veut qu’il ne soit possible que lorsque tout sera publié. Aussi longtemps que tant d’énormes manuscrits resteront devant nous, clos et mystérieux, ils nous solliciteront, comme s’il recelaient le mot de toutes les énigmes que nous cherchons à deviner ; ils entraveront, pour tout esprit sincère, l’essor des inductions. Il convient de les publier, ne serait-ce que pour s’en débarrasser et pour qu’il soit possible à l’avenir d’en faire table rase. Voyez les hommes de la Renaissance lancés comme des limiers, selon le mot de l’un d’eux, à la chaste des manuscrits grecs et latins. Ils ne choisissaient pas dans leur butin et tout leur était bon. Le même Henri Estienne publiait indifféremment les Odes anacréontiques et Sextus Empiricus, Callimaque, Xénophon et Maxime de Tyr. Or, nous sommes,