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LA SOCIÉTÉ
DES
ANCIENS TEXTES FRANÇAIS

Depuis 1875, quelques érudits se sont groupés, pour publier nos textes littéraires du moyen âge, français et provençaux. Ils sont une trentaine, soutenus par une clientèle de trois ou quatre cents lettrés. Voilà, semble-t-il, un fait minuscule, vraiment négligeable dans la vie d’une nation. Voulez-vous en mesurer la portée ? demandez-vous s’il aurait pu se produire au XVIIe siècle. La vitalité de cette humble petite société et de ses semblables suppose le développement tout moderne de l’esprit historique et critique, où réside l’originalité la plus sûre de notre temps ; et, s’il est vrai que « l’histoire, non pas curieuse mais théorique, de l’esprit humain n’est possible que par l’étude immédiate des monumens et par les recherches spéciales des philologues, » ces déchiffreurs de parchemins sont les ouvriers nécessaires d’une grande tache. A vrai dire, nous admirons plus communément, — et non sans raison, — l’architecte que l’ouvrier qui extrait les blocs de la carrière, et plus volontiers l’Histoire du Peuple d’Israël que le Corpus inscriptionum Semiticarum. Pourtant, il peut être utile parfois de visiter les chantiers où se fait le gros œuvre de la science, de mesurer ce qu’il s’y dépense de labeur, de désintéressement, de foi. Il est juste et bon de s’arrêter à un groupe de ces travailleurs, associés comme les fourmis et les abeilles, d’examiner quelle œuvre naît de leur effort modeste, multiple et continu. C’est pourquoi je voudrais dire, selon mes forces, le but de la Société des Anciens Textes français, ses méthodes, son œuvre, ses lacunes : cela, dans un esprit de parfaite indépendance critique, mais aussi de sympathie non dissimulée, ardente et réfléchie.