Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/899

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voilà le rôle de l’éducation morale, telle qu’on la comprend en Angleterre. L’éducation physique et l’éducation morale sont étroitement liées ; l’une ne saurait marcher sans l’autre ; elles s’entr’aident, se soutiennent et, une fois lancées dans la bonne voie, elles vont de pair ; chaque pas de l’une invite l’autre à avancer d’autant. Toute l’éducation pourrait alors se résumer d’un trait : créer une personnalité ; pétrir l’enfant amorphe, sans consistance, pour modeler l’homme, de corps bien équilibré, de volonté droite. Les deux principaux agens de cette transformation sont l’exercice physique, pratiqué comme on sait, et le système tutorial qui continue et achève, à l’école d’abord, plus tard à l’Université, l’éducation du caractère commencée dans la famille.

A douze ans, l’enfant arrive à l’école ; il est déjà par la vie du home un peu aguerri au choc du prochain ; il va prendre le contact d’un plus grand nombre de petits hommes. Les voilà trente environ, qui sont pour cinq ou six ans, jusqu’au départ de l’école, fils adoptifs d’un même père, leur tuteur, qui les loge sous son toit, les nourrit à sa table, dirige leurs esprits et pénètre leurs âmes.

La vie était, au début du siècle, singulièrement grossière et brutale dans les grandes écoles anglaises : abandonnés à eux-mêmes, confondus sans distinction de force ni d’âge, pour les jeux et la vie matérielle, les enfans étaient heurtés et roulés pêle-mêle à l’aventure comme des galets sur une plage[1].

C’étaient généralement les plus brutaux, les plus grossiers qui dominaient alors : on pratiquait sans restriction le fagging, l’esclavage domestique ; il était admis que de cirer les bottines, de faire le ménage, d’être aux ordres et aux caprices d’un grand garçon de dix-huit ans, quand on n’en a que douze, cela façonne le caractère et élève l’âme. Les abus du fagging ont été réprimés ; il existe encore aujourd’hui, mais dans des limites qui le rendent acceptable.

La réforme décisive fut accomplie par le docteur Thomas Arnold à Rugby. Il devint headmaster de Rugby en 1828 et, de cette époque, date une ère nouvelle dans l’éducation anglaise. Arnold se proposait, avant tout, de faire des Christian gentlemen, des chrétiens et des hommes bien élevés. Il y réussit par des moyens très simples qui tous se ramènent à l’action personnelle. Clergyman à l’esprit sérieux, austère même, il inspirait d’abord et toujours un respect mêlé de crainte ; mais l’entière simplicité, la franchise de son langage et de ses manières, la confiance toute

  1. Voyez le rapport de la commission d’enquête de 1862, principalement ce qui concerne Westminster ; voyez aussi l’ouvrage bien connu de Demogeot et, Montucci.