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l’Anglais surnourri, joufflu, obèse, apoplectique, que nous montrent les caricatures du temps de George III. L’Anglais d’aujourd’hui est tout en muscles. Les exercices physiques ont détruit, chez tous ceux qui les pratiquent, le penchant aux excès de nourriture ou de boisson[1].

Les jeux nationaux anglais, — qui sont des jeux de plein air et exigent une grande dépense d’énergie physique, — sont d’excellens moyens d’éliminer les toxiques accumulés dans l’organisme par la vie sédentaire et d’oxyder rapidement le sang appauvri par l’atmosphère viciée des villes. Ce sont aussi d’excellentes écoles de sang-froid et de discipline[2] : tous ces jeux sont des jeux de discipline, et c’est pourquoi les Anglais les ont choisis et y tiennent si fort. Outre qu’ils forment la décision, le coup d’œil, l’esprit d’initiative, ils exigent le respect d’une règle invariable, minutieusement établie, et l’obéissance au chef, au « capitaine ». L’obéissance librement consentie, mais observée sans faiblesse ni mur mure, le respect de l’autorité confiée au plus fort, au plus adroit, au plus expérimenté, au plus digne, en un mot : voilà des qualités qui, gagnées à l’école par l’enfant, accompagnent l’homme fait dans la vie[3]. L’influence morale exercée par les jeux ainsi

  1. Voici comment Ruskin raconte ses débuts au collège de Christ-Church, à Oxford :
    « Il y a trente ans, — vers 18371, — novice alors et très inexpérimenté, j’assistai à mon premier souper de collège. Au haut bout de la table était assis un grand seigneur admirablement doué et de grand avenir, mort depuis de paralysie. Nous avions au milieu de nous, non pas des seaux, mais des coupes aussi vastes que des seaux, et nous nous servions nous-mêmes avec des louches. C’était le début obligatoire de la vie de collège. Je choisis du punch en place de claret, de façon à pouvoir, sans être vu, le verser dans mon gilet au lieu de l’avaler. Je tins jusqu’à la fin et j’aidai à emporter quatre camarades, la tête la première, en bas de l’escalier, puis au logis ; et l’un d’eux était le fils d’un directeur de collège. » Marshall Mather, p. 17.
    Ces mœurs ont complètement disparu des Universités anglaises depuis les progrès de l’athlétisme ; elles sont au contraire plus florissantes que jamais dans les Universités allemandes, où les étudians ont en horreur les exercices, même la marche, et deviennent obèses à vingt-cinq ans.
  2. « Après sept années passées en Angleterre, j’ai acquis la conviction que les jeux sont, pour les Anglais, un moyen très efficace de tremper leur caractère… J’attribue à l’habitude du cricket, prise dès l’enfance, accrue durant la jeunesse avec une persévérance toute britannique, cette puissance de possession de soi-même que nous pouvons, sans nous décrier, envier aux Anglais… » France, par le R. P. du Lac. Paris, 1888, pp. 185-187.
  3. Les Anglais gardent toute la vie ce goût réfléchi pour les exercices physiques ; on connaît le délassement préféré de M. Gladstone dans sa verte vieillesse.
    « M. Fawcett. après sa cécité, a continué à monter à cheval et à patiner, et on a vu Anthony Trollope, vieilli et alourdi par l’âge, se passionner encore pour la chasse au renard. Les Anglais aiment à se rappeler que lord Palmerston se rendait à cheval aux courses d’Epsom, jusqu’à la fin de sa vie. On avait quelque peine à le hisser sur son cheval, mais, une fois en selle, il oubliait la vieillesse et ne manquait jamais d’arriver. » Hamerton. 1, 2, 3.