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self-reliant et reliable ; il est confiant en soi et digne de confiance ; il est habitué à ne compter que sur soi-même, et l’on peut compter sur lui.

Sauf exception dans les grandes familles et dans les familles riches, et pour les aînés seulement, le père considère qu’il ne doit à ses fils que le vivre et l’instruction[1] jusqu’à 16 ou 17 ans (à moins qu’ils n’aient choisi une profession libérale où le stage est toujours long), après quoi c’est à eux à se tirer d’affaire. Comme le fils sait, en outre, qu’il ne doit point compter sur l’héritage, dont le père entame souvent le capital et qu’en tout cas il est libre de répartir à sa guise, la nécessité l’éperonne rudement. Ainsi toute la vie de l’Anglais se passe à apprendre ou à enseigner la self-help : aide-toi. Dès la nursery, le jeune Anglais est préparé à l’action : tout est, pour lui, principe d’activité[2].


II

Cette éducation virile donnée dans la famille, l’enfant continue de la recevoir à l’école[3]. Quand il arrive à l’école, il y retrouve des règles qu’il connaît ; l’atmosphère est presque identique, mais c’est l’éducation complète de lui-même qui continence alors : éducation physique, morale, intellectuelle. On n’a point fait deux parts, l’une pour l’éducation, l’autre pour l’instruction, de façon que celle-ci puisse dévorer la part de l’autre. Education et instruction sont si bien mêlées et confondues qu’on ne les distingue point dans la langue anglaise, et qu’un seul mot suffit à exprimer l’ensemble : éducation. Qu’il s’agisse du physique, du moral ou

  1. Quelquefois même, mais très rarement, le père exige que son fils lui rembourse ses frais d’éducation.
  2. Ce genre d’éducation n’est pas sans avoir une influence sur la famille même. L’individualisme fortifié affaiblit l’esprit de famille fatalement. D’abord la famille telle que nous l’entendons, avec son attirail de cousins, d’oncles et de tantes, ne se rencontre guère chez nos voisins. La famille y existe à peine au-delà des limites du home paternel : « À quoi bon des cousins, disent les Anglais, ce sont des amis gênans. Les vrais amis sont ceux qu’on peut choisir. » On trouve même des frères qui, sans être brouillés, vivent étrangers les uns aux autres et ne s’écrivent jamais. J’ai connu une famille dont le chef habitait Londres : un des fils dirigeait une exploitation agricole a une heure de Londres ; on ne le voyait jamais. Un autre était éleveur au Natal ; il écrivait une fois par an à sa mère. De loin en loin leurs sœurs, restées à Londres, parlaient des absens, mais sans jamais exprimer le regret qu’ils donnassent si rarement de leurs nouvelles.
  3. C’est des public schools surtout qu’il s’agit ici ; c’est à elles surtout que nous emprunterons nos exemples, parce que c’est là que dès longtemps furent élevés les enfans des classes dirigeantes et qu’est né le système tutorial qui est la base de l’éducation anglaise à l’école.