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Ruskin donnait ainsi, en évoquant les souvenirs de son enfance et les soins d’une mère exemplaire, la définition de la nursery modèle. Toutes se rapprochent plus ou moins de ce type : au premier étage de la maison, une grande pièce bien éclairée, bien aérée, très propre, tout unie, où l’on dort, où l’on mange, où l’on peut s’ébattre à l’aise sans danger de briser des objets précieux, de troubler le travail de papa ou d’assourdir maman souffrante. La toilette se fait autour du tub et de la baignoire où tous prennent le bain quotidien à l’eau froide qui tonifie et endurcit. Les vêtemens sont amples, souples, simplifiés ; ils sont destinés, non à la parade, mais à garantir du froid, du vent, de la pluie, tout en laissant les mouvemens libres. L’enfant peut jouer sans crainte de froisser un beau ruban ou de déchirer une précieuse guipure. Les enfans mangent ensemble à part ; les heures sont régulières et le régime frugal. On les mène jouer tous les jours presque par tous les temps de longues heures en plein air, dans les parcs que toute grande ville possède, en pleine campagne si l’on vit hors des villes, et les bambins ont toute liberté de s’ébattre. Ils apprennent de bonne heure, par expérience directe et personnelle, à leurs dépens, ce qu’il en coûte d’être maladroit, imprudent[1].

À ce régime, l’enfant reste enfant longtemps, aussi longtemps qu’il faut, naïf et rose ; il l’est sincèrement, naturellement. Mais l’enfant porte déjà l’homme en puissance. Ce n’est point le petit homme précoce de six ou sept ans que l’on rencontre dans nos rues et nos promenades.

Ce système d’éducation, l’Anglais se l’est formé peu à peu, et aujourd’hui il y croit et il y tient ; qu’il soit appliqué dans la nursery, dans la famille, dans la maison ou au dehors, dès que le baby peut marcher ou commence à comprendre, il est entièrement fondé sur la confiance. On donne à l’enfant confiance en lui-même en le livrant de bonne heure à ses seules forces, s’il est valide ; on fait naître le sentiment de la responsabilité en lui laissant — une fois prévenu — le choix entre le bien et le mal, sauf pour lui, s’il fait mal, à supporter la peine de sa faute ou les conséquences de son acte. Mais sa faute, comme sa faiblesse, n’est jamais présumée ; on ne le surveille pas pour l’empêcher de tomber ; on ne l’épie pas pour le prendre en faute. On lui inspire l’horreur du mensonge ; on le croit toujours sur parole jusqu’à preuve qu’il a menti. Il devient énergique et franc,

  1. « Dans la nursery, comme dans le monde, la seule discipline salutaire, c’est l’expérience des conséquences bonnes ou mauvaises, agréables ou pénibles, qui découlent naturellement de nos actes. » Herbert Spencer, Éducation. Éd. Alcan.