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Au cours de l’entretien, Milne-Edwards s’avise de demander : « Comment se fait-il que vos jeunes gens, élevés à faire un peu de latin et de grec, et à dépenser beaucoup de temps au cricket et au boating, deviennent tout simplement des hommes de premier ordre, de grands hommes d’Etat, des Palmerston, des Gladstone ? » Et le géologue de repartir d’un ton bourru : But tltey have got english mothers…, c’est qu’ils ont des mères anglaises. » Les mères françaises, par leur amour trop tendre, exposent leurs fils à des mécomptes, à des dangers cent fois pires ; leur tendresse énerve, affaiblit.

« Les enfans sont l’âme de la famille française, nous vivons avec eux, pour eux, en eux[1]. » Tout est subordonné à l’enfant : le repos des parens, l’ordre dans la maison, le travail du père, jusqu’à la coquetterie de la mère. Il est le point où convergent toutes les pensées, toutes les inquiétudes, toutes les espérances. Il vit avec ses parens, est admis à table dès qu’il est d’âge à se tenir assis ; volontiers on impose ses grâces, ses caprices, ses sourires et ses pleurs aux invités, s’ils ne sont point tout à fait des étrangers. Il fait les délices du père, qui s’en amuse, sa journée finie, et la gloire de la mère, qui le pare, le frise, le pomponne. Trop souvent, il découvre de bonne heure cette toute-puissance : il en use et il en abuse. Il est tantôt le jouet, tantôt le tyran de ses parens. Leur gros souci est d’écarter de lui la plus mince épreuve, de détourner le moindre danger, de ne point l’abandonner à ses seules forces. Prévoir, ne rien livrer au hasard, à la nature et, quand l’enfant est d’âge à distinguer le bien et le mal, le surveiller pour prévenir ses moindres fautes comme on a prévenu ses moindres faux pas, quand il apprenait à marcher : concerté ou non, tel est le mode commun. Et c’est merveille que l’enfant, ainsi préparé à la vie, ne soit pas tout à fait égoïste, irresponsable et lâche.

Les enfans sont nombreux, d’ordinaire, dans les familles anglaises : ils se suivent de près et forment un petit bataillon qu’il est nécessaire de discipliner de bonne heure. L’enfant passe les premières années de sa vie dans la nursery ; c’est son domaine, il n’y règne pas en maître absolu, il s’y installe en citoyen libre, sous l’œil vigilant de la mère ou de la nurse : « Dans la nursery, les trois élémens importans sont la mère, la nurse et l’air… Plus les choses y seront simples et même grossières, mieux cela vaudra ; pas de dentelles aux berceaux ; lits aussi durs, nourriture aussi simple, parquet et murailles aussi propres que possible. »

  1. O. Gréard. L’éducation morale et physique. Revue Bleue, 20 juillet 1889.