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l’opposition et de la lutte des idées ; elle peut provenir aussi d’un défaut natif, soit de la sensibilité, soit de l’énergie volontaire. Les plus hautes idées, si le cœur est froid par nature, perdent leur efficace et demeurent des formules sans fécondité. Que servait à un Fontenelle de pouvoir s’élever à de grandes conceptions du monde et de l’humanité ? il était incapable d’aimer ce qu’il concevait. Parfois aussi, c’est l’énergie nécessaire à la réalisation qui manque : on voit le mieux, mais on n’a pas le courage de soutenir l’effort nécessaire pour lui faire prendre vie. On tombe, comme dit Pascal, en regardant le ciel.


IV

La volonté, considérée en elle-même et indépendamment de l’intelligence, peut être énergique, prompte et durable. Mais ces qualités ne sont encore que des effets de la constitution et du tempérament, du bon état des nerfs et des muscles, ainsi que du bon état de la nutrition. Ce qui importe au caractère proprement dit, c’est la direction de la volonté, et ce qui détermine cette direction, ce sont les sentimens. Chez un être intelligent comme l’homme, qui n’agit plus par simple réponse immédiate et réflexe à des sensations brutes, tout sentiment enveloppe quelque idée : il est toujours un état de l’intelligence en même temps que de la sensibilité. Réciproquement, toute idée enveloppe du sentiment à quelque degré, et elle est d’autant plus portée à sa propre réalisation qu’elle en enveloppe davantage. Une idée pure, n’entraînera jamais un acte et, comme disait Malebranche, ne soulèvera pas un fétu. Mais, d’autre part, le sentiment peut-il exister sans l’idée ? Aurez-vous le patriotisme si vous n’avez pas l’idée de patrie ? l’amour de l’honneur ou du devoir, si vous n’avez l’idée ni de l’honneur ni du devoir ? Autant de pensées, autant de sentimens possibles et même, pour la plupart, actuels. Dans une forteresse, plus il y a de meurtrières, plus on peut tirer de coups dans les diverses directions. Si on n’a point d’ouvertures sur le dehors, on ne peut apercevoir ni l’adversaire ni l’auxiliaire. Un cerveau sans idées est un cerveau sans fenêtres et sans défenses ; toute idée nouvelle est une nouvelle ouverture pour l’action comme pour la pensée. On ne peut donc, en caractérisant la volonté, négliger ni ses moyens d’action sur le dehors, ni ses moyens de recevoir l’influence du dehors, c’est-à-dire la valeur et l’étendue de l’intelligence.

Toutes nos idées, grâce à ces sentimens qu’elles enveloppent,