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c’est-à-dire ceux dont la sensibilité et l’activité sont au-dessous du niveau moyen. Comme on le voit, les grands « genres » de caractère sont constitués, pour M. Ribot, indépendamment de l’intelligence. Sa division n’est admissible que pour les tempéramens, non pour les caractères. Puisque nous avons rétabli la primordialité de l’intelligence, nous arrivons logiquement à distinguer trois grands genres : le sensitif, l’intellectuel et le volontaire. Chacun de nous, dit Platon, est composé d’une hydre, d’un lion et d’un homme : l’hydre aux cent têtes, c’est la passion ; le lion, c’est la volonté : l’homme, c’est l’intelligence. On peut ajouter que notre forme morale change selon que l’un de ces trois élémens prédomine. Occupons-nous d’abord des sensitifs, qui sont plus près de la nature et de la vie animale. Nous montrerons la part considérable des facultés intellectuelles dans le caractère sensitif lui-même.

Au point de vue physiologique, les sensitifs sont ceux dont le système nerveux, et surtout cérébral, est primitivement constitué de manière à vibrer, à « jouer » presque tout seul, avec une intensité souvent disproportionnée aux excitations extérieures. De même qu’il y a des répugnances pour certains alimens qui ne peuvent s’expliquer par l’état général de l’organisme, de même qu’il y a des douleurs nerveuses sans proportion avec le désordre de l’organe même qui y correspond[1], ainsi il y a des systèmes nerveux et des cerveaux qui s’émeuvent pour la moindre cause, et dont les retentissemens dépassent la mesure ordinaire.

M. Ribot regarde comme incontestable que « les sensations internes, organiques, de la vie végétative, sont la source principale du développement affectif », par conséquent la vraie base du caractère sensible. Par là, il nous semble encore faire trop bon marché du cerveau, organe dominateur, de son autonomie, et du pouvoir qu’il a de vibrer indépendamment des viscères. C’est la réaction cérébrale, et non viscérale, qui constitue précisément la plus haute sensibilité ; et celle-ci ne se développe qu’avec l’intelligence. Chez l’enfant, dont les idées sont encore si peu nombreuses et si peu larges, plaisirs et peines sont accompagnés de véritables tempêtes intérieures ; d’un organe à l’autre, tout fait avalanche : de là les cris, les pleurs. les gestes, les mouvemens de la physionomie, le visible envahissement de tout l’organisme ; son chant de triomphe dans la joie, son cri de détresse dans la peine. Mais l’orage viscéral et même nerveux n’est pas l’unique mesure du sentiment ; les douleurs qui font le plus de fracas ne sont pas les plus profondes. C’est dans le cerveau que celles-ci

  1. Voir à ce sujet les remarques de M. Rauh dans la Revue de métaphysique et de monde, 1893.