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lyrique où tout, presque tout au moins, se passe en conversation. Ainsi le veut la forme ou la formule actuelle, qu’on peut aimer ou non, mais qu’il faut accepter, en attendant qu’elle passe. C’est de cette forme que le compositeur russe a tiré un parti excellent, et dans le dialogue musical, où nous regrettions dernièrement que l’auteur de l’Attaque du moulin, par exemple, eût échoué, l’auteur du Flibustier nous semble passé maître. A cet égard, tout le premier acte, le second en partie (laissons le troisième, qui ne vaut rien), sont véritablement des plus remarquables, et de tout ce qui constitue la musique, la vraie, la bonne, je ne vois pas que rien manque ici.

La mélodie ? — Elle y abonde, un peu mince à coup sûr, un peu courte ; hélas ! en connait-on d’autre aujourd’hui ? mais claire, mais fine, et jamais ou presque jamais banale. N’est-ce pas une mélodie, et charmante, que la première chanson de Janik ? Mélodie également la noble, l’auguste phrase du vieux Legoëz, défendant, contre les reproches et les malédictions de sa belle-fille, l’Océan pour lui respectable et sacré jusque dans ses fureurs. Mélodie encore, et d’une saveur originale, le motif souriant qui tant de fois, trop de fois peut-être, s’échappe des lèvres de Janik. Et le duo enfin entre Marie-Anne et Jacquemin, par quelle fraîche, claire, exquise mélodie il commence ! Écoutez-en tout le début. Encore une conversation, j’en conviens, mais délicieusement musicale. Fidèle sans contrainte à l’idée littéraire, l’idée mélodique se déduit avec autant de suite que d’aisance, avec non moins de logique que de liberté. Conversation, il sied de répéter le mot. Oui, simple causerie, banale question d’un passant, d’un visiteur, que vous ou moi nous pouvons adresser aujourd’hui, demain, au gardien de la première porte où nous irons frapper. Mais à cette interrogation familière, à ce détail sans importance, la musique a su donner de l’intérêt, de la poésie même, et c’est le propre des talens délicats de faire ainsi quelque chose pour l’art avec les riens de la vie. Pas une tache en ce duo, sauf, au cours du récit de Jacquemin racontant ses combats et la disparition de Pierre, un peu d’embarras peut-être dans le développement de l’idée ; faute légère d’ailleurs, que rachètent çà et là des touches exquises : la mélancolie d’une modulation mineure, le tour heureux d’une cadence et, pour finir, la reprise de la première mélodie, qu’une ou deux notes altérées à peine suffisent à rendre plus aimable et plus touchante encore.

Le second acte est presque aussi riche que le premier ; oh ! j’en conviens, riche avec modestie et sans faste, cachant son bien plutôt que d’en faire étalage. Mais cherchez avec soin, et vous trouverez là d’intimes attraits, des grâces discrètes. Vous aimerez, dès le lever du rideau, la veillée bretonne autour de la table, le ton martial et dégagé du flibustier contant ses aventures ; vous noterez avec quelle franchise