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que des missions sans importance. On savait aussi qu’il y avait entre eux des dissentimens profonds sur toutes les questions à régler en Prusse et en Allemagne. Ce prince, tenu obstinément dans l’ombre, alliait à la douceur du caractère la fierté d’un soldat qui a fait ses preuves, et parmi ses amis, qui mal vus du chancelier, avaient, eux aussi, des griefs, plusieurs paraissaient des hommes de gouvernement, dignes d’occuper les grandes places ; tout semblait annoncer que le nouvel empereur avait une revanche à prendre et qu’il la prendrait. La destinée en avait disposé autrement ; une cruelle maladie devait l’emporter à bref délai, il était condamné à ne régner que quatre-vingt-dix-neuf jours. Cet héroïque patient, qui ne se faisait aucune illusion sur son état, savait que ses heures étaient comptées, et renonçant à tous ses projets, il ne pensait qu’à mourir en paix. Dès le 9 mars 1888, il envoyait de San Henni une dépêche au chancelier pour le remercier du dévoûment avec lequel il avait servi son père et pour lui déclarer qu’il comptait sur son assistance. Le 11, il arrivait à Leipzick, où M. de Bismarck était venu l’attendre. Il le fit monter dans son wagon-salon, l’embrassa à plusieurs reprises, et ils arrivèrent ensemble à Charlottenbourg, sans avoir dit un mot qui pût faire croire qu’ils ne s’aimaient pas.

Si M. de Bismarck avait éprouvé quelques inquiétudes, il n’avait plus sujet d’en avoir, et il ne craignit pas de s’opposer ouvertement à un projet de famille longtemps caressé, qu’il déclarait inconciliable avec sa politique. Depuis plusieurs mois, il était question de donner la fille aînée de l’empereur Frédéric III, la princesse Victoria, au prince Alexandre de Battenberg, si mal récompensé par les Bulgares des éclatans services qu’il leur avait rendus. La nouvelle impératrice désirait ardemment ce mariage, auquel s’intéressait aussi sa mère, la reine d’Angleterre. M. de Bismarck n’avait point été consulté ; le projet lui fut communiqué le 23 mars, et du même coup on lui annonça la prochaine arrivée à Berlin de l’ex-prince de Bulgarie. Il répondit qu’il ne prêterait jamais les mains à ce mariage, qui indisposerait sûrement la cour de Russie, et que, si on passait outre, il s’en irait. L’Allemagne s’émut de cet incident, mais elle ne tarda pas à se rassurer. L’empereur, qui tenait, parait-il, cette union pour une mésalliance, pria le chancelier de lui exposer ses objections dans un mémoire. Ce mémoire portait que du jour où les Bulgares apprendraient que leur premier prince venait d’épouser une fille de l’empereur d’Allemagne, ils s’empresseraient de le rappeler, que jusque-là l’Allemagne n’avait eu aucun intérêt particulier en Bulgarie, ce qui lui avait permis de tenir la balance égale entre les deux puissances intéressées, l’Autriche-Hongrie et la Russie ; que désormais elle se ferait un devoir de prendre parti pour le gendre île son souverain : « Quand on jette un bâton de maréchal