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prince ne lui ont pas été inutiles, que sur plus d’un point on lui avait fait sa leçon et qu’il l’a fidèlement répétée. Il suffit de prêter l’oreille, on reconnaît la voix du souffleur.

L’auteur de l’article où M. Blum est si durement gourmande confesse toutefois « que son ouvrage est bien fait dans certaines parties, et qu’il a toujours eu les meilleures intentions ». C’est la moindre justice qu’on put lui rendre. Le docteur Blum professe pour le prince de Bismarck une admiration sans bornes et sans réserve.

Qu’il s’agisse de politique étrangère, d’administration intérieure, de questions d’impôts ou de douanes, il l’approuve en tout et partout et lui pardonne d’avoir souvent froissé ses opinions. Il a quant à lui toutes les passions, tous les préjugés d’un libéral-national endurci et de ces intransigeants farouches pour qui la papauté est la grande ennemie, la femme de Babylone qui prend les rois et les peuples dans ses filets, et peu s’en faut qu’il ne voie la main des jésuites dans tout ce qui peut arriver de fâcheux à son pays. Aussi parle-t-il avec enthousiasme du Kulturkampf et des fameuses lois de mai ; mais son admiration pour son héros prévalant sur l’esprit de parti, il parle aussi avec éloge des démarches que fit M. de Bismarck pour se réconcilier avec le Saint-Siège. Le grand homme d’Etat est à ses yeux un juge omniscient et infaillible des choses humaines, dont les prévisions ont toujours été justifiées par l’événement. Il n’a jamais hésité, jamais talonné ; dans les circonstances les plus difficiles, conduit par un instinct miraculeux, il a su trouver avec une certitude surhumaine le mot de l’énigme à résoudre.

Cependant, si sûr que soit l’instinct, il se fourvoie quelquefois et les fourmis, les abeilles ont leurs incertitudes et leurs repentirs. Comme elles, les grands politiques ont tous fait leurs écoles, et c’est cela même qui les rend plus intéressans. M. de Bismarck, quoi qu’en dise le docteur Blum, attendait de sa campagne contre le Vatican des satisfactions d’orgueil qu’il n’y a point trouvées ; ce qui est admirable, c’est qu’après avoir caressé une illusion, averti de sa méprise, il ne s’est point obstiné. Aucun homme d’État n’a été plus attentif à réparer ses fautes, et il n’en est point non plus qui ait mieux su profiter des fautes de ses adversaires, Je lisais ces jours-ci, dans l’élégante traduction de M. de Heredia, la Véridique histoire de la conquête du Mexique, par un des compagnons de Fernand Cortès, Bernal Diaz del Castillo. On y voit que, comme M. de Bismarck, Cortès, qui passa pour téméraire et qui avait pour principe que qui entreprend triomphe, était prompt à reconnaître ses erreurs et à les réparer par d’ingénieux artifices. On y voit aussi qu’il fut redevable de ses plus grands succès à l’heureux parti qu’il sut tirer de l’imprudence, de l’impéritie ou de la désunion de ses ennemis. « Ayant vu la discorde et la dissension qu’il y avait entre les