En faisant ici, il y a près d’un an[1], le récit du coup d’État qui, renversant la monarchie havaïenne, lui substituait un gouvernement provisoire chargé de négocier l’annexion de l’archipel aux États-Unis, — demande favorablement accueillie par le président Harrison — nous exprimions l’espoir que, mieux inspiré que son prédécesseur, M. Cleveland, récemment élu, refuserait de s’engager dans la voie que M. Harrison lui traçait. Nos prévisions n’ont pas été déçues.
Certes, à première vue, les embarras que créait l’incident havaïen, même aggravé par l’initiative imprudente et impatiente de M. Harrison, semblaient peu de chose comparés aux questions dont la solution s’imposait au nouveau président. Les agissemens, dans un petit royaume polynésien, de quelques milliers d’Américains enrichis et désireux de s’enrichir encore davantage, préoccupaient moins l’opinion publique que les gigantesques fraudes du Bureau des pensions, que les onéreuses obligations de la loi Sherman. et que le malaise général causé par le bill Mac Kinley et le régime protectionniste. A tout prendre, de quoi s’agissait-il ? D’une reine kanaque détrônée, d’un archipel florissant sur lequel des colons américains avaient fait main basse et qu’ils venaient offrir à la grande république, lui apportant du même coup les clefs de l’océan Pacifique du Nord, l’unique escale entre l’Amérique et l’Asie, et cela, sans bourse délier. L’offre était séduisante ; on s’expliquait le désir de M. Harrison d’attacher son nom et celui de son parti à une pareille extension territoriale et d’apposer à un traité aussi avantageux sa dernière signature présidentielle. Tout l’y incitait : les encouragemens de ses conseillers, les sollicitations du parti républicain, l’opinion publique dévoyée, et aussi, peut-être, la tentation de faire pièce à son successeur en le mettant dans
- ↑ Voyez la Revue du 1er mars 1893.