Le soleil monte, monte radieux dans le ciel tout bleu. L’heure de midi s’avance avec une tranquille splendeur. Du sol, s’exhale une odeur de menthes, d’herbes surchauffées, qui va, jusqu’à l’heure plus fraîche du soir, dominer le parfum de toutes les fleurs d’ici, roses, œillets, giroflées ou chèvrefeuilles. Il y a comme une joie infinie dans l’air ; la vie épand ses mille puissances, le renouveau sourit délicieusement partout. Là-bas, très loin, les nappes étincelantes de la mer viennent de se couvrir d’innombrables petites voiles blanches ; toute la flottille des pêcheurs de Fontarabie qui prend gaiement le large, emportée par la brise légère. Sur le mur de l’enclos, des enfans frais et rieurs se sont perchés, pour voir ce que nous faisons, et, près de moi, deux belles filles, coiffées du foulard basque, regardent tranquillement la corbeille si remplie.
Le vieux fossoyeur continue de fouiller avec ses doigts : « Oh ! s’écrie-t-il, voyez si on a raison de dire qu’ils tombent tous du même côté, la tête sur la gauche ! La voilà, la tête, et regardez un peu de quel bord elle est tournée !… Oh ! ces dents, c’est-il blanc ! c’est comme du lait ! » Il prend la tête dans sa main, l’élève hors du trou, toute suintante et rougeâtre, au plein soleil : « Mais, regardez-moi ces dents ! c’est-il joli !… Dame, aussi, des tout jeunes, des enfans comme ça, et des si beaux enfans qu’ils étaient ! » Puis, s’adressant aux deux belles filles qui sont là, curieuses et nullement recueillies : « Le jour de leur mort, j’en connais plus d’une au pays qui a pleuré, allez !… A leur enterrement, tenez, je m’en souviens comme si c’était d’hier, je parie qu’il y avait plus de trois cents personnes !… Ah ! les cheveux à présent ; tenez, voilà les cheveux ! » Et il met, sur le tas des débris, des choses légères qui ressemblent à de l’étoupe blonde…
Cependant, elle est trop pleine, la corbeille, posée tout au bord de la fosse ; il s’en détache un amas de pourriture, noire qui retombe sur le vieux déterreur, sur son cou, dans sa chemise ouverte… « Oh ! » fait-il, un peu décontenancé tout de même, et il se secoue : « Je l’aurais préféré de son vivant pour me tomber dessus, bien sûr !… Enfin, ça ne me tuera pas, je pense bien ! »
La besogne pénible s’avance.
Les trois premiers sont déjà partis par morceaux. Nous en sommes au quatrième, Jean Kergos, timonier. Près de sa jambe, à la hauteur où la poche de son pantalon pouvait être, le fossoyeur trouve une petite chose noire, qu’il dépose à mes pieds : une bourse de cuir, avec un fermoir en métal… Ah ! c’est que celui-ci, rapporté à la plage par une lame au bout de huit jours seulement, n’avait sans doute pas été déshabillé avant sa mise au cercueil.