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PROFANATION

— Le fossoyeur est là dans le ja77rdin, qui vient avertir le commandant que les trous sont faits !

Avec l’alerte accent gascon, cette sinistre phrase m’est dite, un matin de printemps, par un marin tout jeune, à la voix fraîche et gaie.

Un matin de printemps, un beau matin de mai rayonne sur le pays basque. Et il y a tant de vie neuve épandue partout, tant de joie dans l’air, tant de sève montante dans les plantes vertes, que la mort semble un noir rêve improbable… Cependant, à la porte de mon jardin plein de roses, se tient le vieux homme annoncé, le fossoyeur aux mains souillées de terre…

Il s’agit de pauvres petits matelots Imitons, enfans d’une vingtaine d’années, noyés il y a quatre ans dans les brisans de la Bidassoa, et que l’on exhume aujourd’hui. Le cimetière où ils dormaient est devenu trop étroit, trop plein de morts ; il faut les réveiller et les déplacer. L’équipage de leur navire, que je commande en ce moment, vient d’acheter pour eux, à perpétuité, un terrain où pieusement on va les coucher tous ensemble. Et, comme leur famille est loin, c’est à moi que revient le soin de surveiller ce changement de demeure.

Les trous sont faits. Donc, il est temps que je me rende. Et je prends, à la suite du vieux déménageur de morts, le sentier bordé de marguerites, de véroniques, de germandrées, de graminées folles, qui mène à l’enclos des suprêmes paix.

Du haut d’une colline, au bord de la Bidassoa, le cimetière regarde de grandes profondeurs lumineuses, de grands déploiemens de mer et de montagnes qui sont, à cette heure, de tous les bleus connus, depuis les plus pâles et les plus diaphanes jusqu’aux indigos les plus intenses. L’air, étonnamment suave à respirer, est plein de senteurs d’aubépine, de senteurs de lis. Et le