Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tu ne le diras pas, et les salles mal closes
Ne te trahiront pas non plus, ô vieux rouet
Qu’entoure le prestige exquis des vieilles choses,
Rouet mystérieux, solitaire, et muet !

Toi qui vis s’écouler des jours lointains sans nombre,
Rêve triste ou joyeux à jamais effacé,
Lorsque nous serons morts, tu resteras dans l’ombre,
Cher témoin d’un présent devenu le passé.


V.

 LE SOMMEIL DE LA VIERGE


Les lunaires lueurs entre les piliers blancs
Du cloître où tu t’endors, ô Pure entre les pures,
Viennent auréoler de leurs rayons tremblans
De tes cheveux épars les blondes annelures
Dont la longue caresse enveloppe tes flancs.

Dors ! La lune répand ses rayons dans l’air sombre
Où les anges, berçant tes chastes voluptés,
Du vol harmonieux de leurs ailes sans nombre
Frôlent furtivement les vibrantes clartés,
Ces cordes d’argent clair de la harpe de l’ombre.

Ils ont, en lumineux arpèges, célébré,
Au cloître en fleur où tu rêvais, blanche et voilée,
Le mystère d’amour à jamais ignoré
De cette nuit mystique où, Vierge immaculée,
Tu conçus l’infini dans ton sommeil sacré.

Dors ! Ce n’est pas encor l’heure révélatrice,
Le matin désiré n’a pas blanchi le ciel ;
Mais attendant que l’ombre antique enfin pâlisse.
Du fond de l’Orient, voici que Gabriel
Ouvre son vol, où luit l’Aube annonciatrice !


1889-1892.