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Ton esprit qui volait bien plus loin que ton aile
T’ouvrait le grand ciel pur qui fuyait devant toi :
— Est-ce vrai, disais-tu, qu’un oiseau comme moi
Respire le parfum de la fleur éternelle ?

Aux hommes comme à nous, petits chanteurs des bois,
Le Seigneur a donné la divine pensée ;
Avec elle revoir l’heure heureuse passée,
Je crois que c’est revivre une seconde fois. —

Tu mourus, philosophe, aux premiers froids d’automne.
Nous ne te verrons plus, ô petit bengali ;
Et, tristes, nous t’avons un soir enseveli
Dans le calice bleu d’une pâle anémone.


IV.

 LE ROUET DE KERDANET


Celui qui t’a créé dans tes formes légères
Est depuis bien longtemps couché dans son linceul,
Et souvent tu passas par des mains étrangères
Avant de rester là, noir, vénérable et seul !

L’araignée a garni ta bobine immobile
Du léger fil soyeux qui remplace le lin ;
L’aïeule au doigt tremblant devenu malhabile
S’est endormie aussi du long sommeil sans fin ;

Et celle qui filait par ta chanson bercée
Les langes de l’enfant qu’elle avait espéré,
Toi qui charmas son rêve et sa douce pensée,
Tu la vis s’en aller et tu n’as pas pleuré.

Et si tu vois, le soir, sur cette galerie,
Balcon frêle et léger, courant le long du mur,
Parmi le grand silence empli de rêverie
Quelque fantôme blanc glisser dans l’air obscur ;