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entamée plusieurs colonies australiennes contre l’immigration par mer, ces propositions déposées en 1885 par les députés français Castelin, Lalou, Macherez, Brincard, Hubbard, frappant de taxes plus ou moins lourdes les résidens étrangers, cette autre proposition du même genre faite à la Chambre des communes par M. J. Lowther et qui réunit, en février 1893, 119 voix contre 234[1]. Voilà donc les agapes auxquelles le socialisme convie les pauvres et les affamés du monde moderne ! Cependant, si la guerre peut être entreprise entre les États pour l’indépendance ou pour l’honneur, elle ne se justifie pas, entre les individus, par l’âpreté de la concurrence. Il appartient aux travailleurs de conclure un premier traité de paix générale, et cette paix-là devrait resplendir sans ombre, dès aujourd’hui, sur tout le genre humain. Nous croyons que la liberté du travail, c’est-à-dire le droit de vivre suit les étrangers sur notre territoire, à la condition qu’ils remplissent tous les devoirs imposés par l’hospitalité, comme elle doit suivre les Français au-delà de nos frontières.

Le socialisme marque encore de son empreinte un certain nombre de lois proposées ou déjà votées dans plusieurs pays de l’Europe. Il s’agit d’imposer par décret la prévoyance ou l’épargne. Nous n’avons ni le temps ni l’envie de raconter l’histoire, déjà longue, et d’exposer les progrès de l’assurance obligatoire chez les peuples civilisés. On commence, en général, par se convaincre que l’industrie particulière est impuissante à conjurer les effets de certains fléaux, et l’on arrive promptement à déclarer que « l’État doit prêter son concours pour organiser la solidarité entre tous les propriétaires[2] ». On ne se dissimule pas qu’une atteinte est portée par là même à la liberté. Mais quoi ! l’obligation de payer une prime sera-t-elle plus vexatoire que l’obligation de payer l’impôt ? l’impôt est-il autre chose, en réalité, qu’une prime d’assurance contre le désordre, la guerre, le vol, le meurtre, etc.[3] ? Ce qui semble décisif, c’est que, si l’assurance reste facultative, on ne peut pas persuader aux intéressés de s’adresser à l’État, celui-ci n’allant pas au-devant de la clientèle comme les sociétés privées[4]. Ainsi, en France, malgré les grands avantages qu’offre aux

  1. Après les troubles d’Aigues-Mortes, la Veille République française demanda que les patrons occupant des étrangers fussent au moins frappés d’une taxe équivalente à la différence entre les salaires payés aux Français et les salaires plus faibles payés aux ouvriers du dehors. Voir encore, dans les journaux du 23 septembre 1893, le compte rendu d’une réunion d’ouvriers terrassiers tenue à Paris, rue de Flandre.
  2. Voir la proposition de loi ayant pour objet la création d’une caisse nationale d’assurances mutuelles agricoles entre les communes gérée et administrée par l’État (annexe à la séance de la Chambre des députés du 6 mai 1893).
  3. Même proposition.
  4. Même proposition.