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sans exagération, sont la caractéristique la plus certaine de l’hindouisme. Cette disposition est si forte que telle caste contre laquelle s’élèvent bien des préjugés, des rancunes et des mépris, est, malgré tout, entourée d’une considération durable, par la seule raison qu’elle se montre plus fidèle aux pratiques des brahmanes. Si bas que soient certains groupes, quelque tache qu’imprime leur fréquentation aux brahmanes qui consentent à officier pour eux, le concours que prêtent des brahmanes à leurs cérémonies religieuses suffit à assurer a ceux qui l’obtiennent une supériorité manifeste sur ceux qui le négligent. Le seul nom de brahmane est un titre très éminent. Les sections mêmes que les brahmanes de bonne souche méprisent le plus, comme les Joshis des Provinces du nord-ouest, sont, pour ce seul nom, profondément révérées par la grande masse de la population. Ce respect pour les « dieux de terre » ne se lie pas uniquement à leur caractère religieux ; il s’étend aux représentans de la classe auxquels ni leurs occupations, ni leur rôle ordinaire ne donneraient de ce chef aucun titre. Le respect proprement religieux se prodigue à toutes sortes d’ascètes et de docteurs dont un très grand nombre ne sont pas brahmanes. Inversement, des sectes que leur croyance hétérodoxe devrait détacher aisément des brahmanes et des préjugés de caste, comme les Jaïnas, des musulmans même, continuent de témoigner aux brahmanes une déférence prosternée ; elles veulent des brahmanes pour prêtres de leur culte. A plus forte raison la prérogative brahmanique plane-t-elle au-dessus des conflits sectaires de l’hindouisme proprement dit, entre Vishnouïtes et Çivaïtes. Les brahmanes affectent volontiers de s’en montrer dédaigneux.

Parmi tant de complications confuses, il n’est pas aisé d’orienter rapidement et de haut les yeux qu’une expérience continue n’a pas préparés à ces rectifications spontanées telles qu’en comporte toute vue perspective. Cette esquisse est destinée à vieillir rapidement ; peut-être la situation qu’elle résume a-t-elle, dans les derniers temps, subi plus d’une atteinte. Si puissante que soit la force de conservation et d’inertie propre à l’Orient, l’organisation traditionnelle est attaquée par l’influence occidentale, par les notions, par les habitudes qu’elle patronne. Dans le choix de ses auxiliaires de tout genre, le gouvernement anglo-indien ne tient aucun compte de la caste ni de ses préjugés ; il ne s’inspire que des titres personnels. Armée et administration rapprochent des gens de toutes classes dans une intimité qui eût paru naguère in tolérable. La coutume est battue en brèche et par les idées et par les faits. Malgré leur superbe dédain pour les barbares, les