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de la charrue ne leur est pus moins fatal. On en voit, parmi les Thâvîs, les Dhoûnsars, les Dharoûkras, qui, par ces infractions ou par d’autres, ont aliéné, dans un passé récent, jusqu’au titre qui leur assurait, naguère un reste de supériorité et de respect. Quoiqu’ils prétendent à une origine brahmanique, qu’ils en ferment leurs femmes et portent le cordon, les Tagas ne sont plus au Penjab qu’une caste criminelle de voleurs. On peut imaginer que la même déchéance frappe plus facilement encore des castes plus modestes, Râjpouts, Banyas et autres. Il serait sans profit de grossir la liste.

Par les facteurs qui modifient la condition des groupes, on peut juger des considérations principales qui en règlent la hiérarchie. Elle est très pointilleuse ; elle n’est pas invariable, il s’en faut. Des circonstances spéciales, surtout les hasards historiques qui, à un moment donné, ont porté au pouvoir dans une province le représentant de telle classe qui, d’origine, n’y paraissait pas destinée, peuvent altérer l’harmonie des lignes générales. La race agricole des Kounbis à Poona va jusqu’à séparer de la qualité de Kshatriyas ; le grand rôle qu’a joué au XVIIe siècle un de ses membres, Çivajî, comme fondateur de la puissance mahratte, n’est pas étranger à la prétention. Mais, à tout prendre, ce qui règle la préséance, c’est le degré de fidélité avec lequel chaque caste se conforme, ou fait profession de se conformer, aux enseignemens brahmaniques, soit pour le mariage ou la pureté extérieure, soit pour les occupations ou les coutumes accessoires dont j’ai tenté de donner quelque idée. C’est avant tout l’impureté supposée de leurs métiers ou de leur nourriture qui fait l’abjection des castes les plus basses, celles pour lesquelles prévaut la dénomination impropre d’outcasts. On conçoit que les scrupules de chacun soient ici en éveil, puisque la prescription essentielle revient à ne jamais frayer avec des individus inférieurs et souillés. Chose caractéristique, la vanité généralement très exaltée des divers groupes s’attache surtout à revendiquer des liens parfaitement chimériques avec des castes comme les Kshafriyas, les Vaïçyas, du système brahmanique, qui n’ont aucune réalité au moins actuelle. Elle ne se peut donc autoriser d’aucune tradition sincère. Elle est tardive et s’inspire, comme le système hiérarchique tout entier, de la théorie sacerdotale.

Il n’est pas étonnant que le couronnement de toute l’ordonnance soit la primauté qu’elle assure aux brahmanes. Les privilèges de toutes sortes dont ils bénéficient, les respects souvent extravagans qu’ils obtiennent ont été plus d’une fois décrits. La domination et le prestige de la caste brahmanique, on le peut affirmer