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vaste organisme. Des fermens de rénovation l’agitent, le modifient incessamment ; le principe hiérarchique qui le pénètre tend à la conservation et à la stabilité. Ce sont deux grands courans qui le traversent en sens contraire.

Tous les hommes qui ont observé de près la société hindoue sont unanimes à y constater un actif va-et-vient dans la composition, le rang, les occupations des castes. Un des plus perspicaces va jusqu’à déclarer que, si la descendance constitue une présomption en faveur des prétentions de la génération présente, c’est une simple présomption, que modifient ou infirment un nombre infini de circonstances. On ne peut ouvrir aucun des documens qui nous sont accessibles sans se heurtera une foule de témoignages ou de faits, d’indices ou d’affirmations, qui présentent ce monde de corporations juxtaposées et enchevêtrées, dans un mouvement continuel et double, de désintégration, de reconstitution. Les grandes castes à nom générique, — les Brahmanes, les Râjpouts, les Jats, — ne sont, à vrai dire, que des collections de castes ; l’unité réelle est dans les subdivisions, sous-castes, clans, ou comme on voudra les appeler. Je l’ai dit ; il importe de s’en souvenir. Le nom de Râjpouts n’est qu’un titre honorifique dont l’unité embrasse une foule de tribus, de castes, différentes d’origine, de profession, de coutume. Les Jats du Penjab sont, à n’en pas douter, un mélange de populations fort diverses. Et le Jat n’a pas si tort, quand on le questionne sur sa caste, de répondre par le nom d’un clan, qui est sa vraie patrie corporative. Ces sections mêmes se morcellent. Les noms se diversifient, le penchant sécessionniste continue son œuvre. C’est ainsi que, parmi les castes de Brahmanes, de Vaidyas, de Kâyasthas, au Bengale, se constituent de petits groupes appelés dals, samâjas, quelquefois melas, qui ne tardent pas à fermer, pour ceux qui en font partie, l’horizon de la caste, soit que le voisinage seul les rapproche d’abord, soit qu’ils se distinguent par quelque usage qu’un homme d’autorité exceptionnelle a su leur faire adopter. C’est même là, dans ces petits groupes, que réside l’élément novateur par l’intermédiaire duquel peut, de proche en proche, grâce à l’infusion discrète de pratiques nouvelles, se propager un déplacement plus général d’idées et d’habitudes. En attendant, le premier résultat est de multiplier les fractionnemens et les castes. Des sections se constituent, numériquement très faibles ; la porte s’ouvre d’autant plus large aux modifications de tout ordre que l’entente d’un petit groupe est suffisante, pour les fonder. D’un usage particulier une caste nouvelle peut naître. Il y a d’autres facteurs. La répartition géographique d’abord. C’est en raison de leur dispersion que les Jaïnas de l’Inde du Nord ont