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scrupule. Ils accepteront le pain pakki d’un orfèvre, mais pas dans sa maison… Un musulman mangera et boira de la main d’un Hindou, mais un Hindou ne touchera ni pakki ni kacchi d’un musulman, et souvent il jettera sa nourriture si seulement l’ombre d’un musulman vient à s’y projeter… Le sucre et presque tous les gâteaux peuvent s’accepter à peu près de toutes les mains, fût-ce d’un homme qui travaille le cuir, ou d’un balayeur ; mais, dans ce cas, il faut qu’ils soient entiers et non divisés. » Ce détail suffira, je pense, à titre d’exemple : on m’excusera, on me bénira, de ne pas aspirer à être complet. Un seul trait, pour montrer en quelles bizarreries se peut égarer ce point d’honneur de délicatesse. On cite deux castes très méprisées du Penjab, les Choûhras et les Dhânaks, qui refusent de manger réciproquement leurs restes, quoiqu’ils acceptent ceux de toutes les autres castes, à l’exception de la classe très basse des Sânsis ! Nous n’en finirions pas s’il fallait distinguer, même dans la mesure assez limitée de ce qui nous est connu, entre les règles qui régissent le riz cuit et les autres alimens ; entre le Bengale, où toutes les castes, ou peu s’en faut, acceptent la nourriture préparée par des brahmanes, et la coutume plus stricte qui, dans plusieurs castes du reste de l’Inde septentrionale, exclut la cuisine des brahmanes et ne tolère que la cuisine d’un membre de la caste même. Il suffit de donner une impression de cette fatigante variété.

Il reste au moins une distinction très caractéristique et très générale à signaler ; c’est celle qui, dans la plus grande partie de l’Inde, — dans l’Inde entière, dit-on, excepté Madras, — sépare les castes en deux catégories : celles de qui on peut accepter de l’eau, celles dont le contact la souille. Les catégories sont très variables ; car, au dire de Guru Proshad Sen, tous les Bengalis, y compris les brâhmanes, sont à cet égard, et sauf de rares exceptions, mis à l’index par le reste des Hindous. La division n’est que plus remarquable. Elle s’inspire visiblement d’une importance particulière qui s’attache à l’eau. N’est-ce pas la même préoccupation qui inspire d’autres différences singulières que fait la superstition entre le grain préparé à sec ou mélangé de liquide ? Autre exemple significatif. Au Penjab, les Hindous acceptent bien du lait pur de la tribu musulmane des Ghosis ; ils le repousseraient avec horreur s’ils avaient quelque raison de craindre qu’il eût été mélangé d’eau. Il est vrai que des mobiles plus ou moins obscurs, peut-être de simples nécessités pratiques, ont dans plus d’un cas détendu la règle. Tout le monde accepte de l’eau au Penjab des mains de la caste très basse des Jhiiuvars ; mais c’est une tribu qui fournit surtout