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ont beaucoup contribué à rendre plus rares et plus difficiles les communications entre Européens et indigènes, à empêcher les Hindous de puiser, en voyageant, aux sources de la civilisation occidentale. Les Hindous se montrent en toute circonstance grands amis des fêtes ; les repas communs reviennent dans toutes les occasions solennelles. Ces restrictions eu sont plus significatives. L’autorité en est si absolue qu’on a vu les Santals — une caste très basse du Bengale — se laisser, en temps de disette, mourir de faim plutôt que de toucher à des alimens préparés même par des brahmanes. Cette réserve s’appliquant à la caste réputée la plus haute et entourée de respects si prosternés, montre combien le scrupule est ici ingénieux et fécond, ce qu’il sait, à l’ordinaire, broder de variantes sur le canevas primitif.

On peut considérer que, en termes généraux, les gens seuls peuvent manger ensemble qui pourraient se marier ensemble. Donc, ici encore, il faut entendre la caste dans le sens étroit. Les douze sections des Kâyasthas du Bengale ne peuvent pas plus manger de compagnie qu’elles n’acceptent entre elles d’alliances. Cependant, à tout prendre, la prohibition est ici moins stricte ; bien des sections de castes entre lesquelles le mariage est illicite ne laissent pas de partager le même repas. D’ailleurs, plus encore que pour les règles du mariage, les habitudes varient à cet égard, d’une région à l’autre, et jusque dans la même caste, suivant les districts où elle est cantonnée. La loi n’en subsiste pas moins partout. Mais partout elle se complique de distinctions bizarres en apparence, pour nous fort curieuses.

« D’une façon générale, dit un rapport cité par M. Ibbetson, aucune tribu n’accepte à manger ou à boire des mains d’une tribu inférieure. Mais l’action purifiante attribuée au feu, spécialement quand elle s’exerce sur le beurre et le sucre, la pureté supérieure supposée au métal par comparaison avec les récipiens de terre, servent de fondement à une large distinction. Toute nourriture est divisée en pakki rôti, frite au sel avec du beurre, et kacchi rôti, qui est traitée autrement. Un brahmane Goujarâlî mangera du pakki rôti, mais non du kacchi rôti, d’un brahmane Gaur, un Gaur d’un Taga, un brahmane ou un Taga d’un Râjpout, un brahmane, un Taga ou un Râjpout d’un Jat, d’un Goûjar ou d’un Ror. A l’exception des brahmanes et des Tagas, toutes les castes, dans un vase de métal préalablement écuré avec de la terre, accepteront l’eau des mêmes gens avec lesquels ils mangeraient du pakki rôti ; mais ils ne boiront dans un vase de terre qu’avec ceux dont ils pourraient manger le kacchi rôti. Jais, Goûjars, Rors, Bahbâris, Abîrs, mangent en commun sans aucun