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compréhensive l’essentiel de la loi que la caste impose au mariage. Cette loi a un double aspect : elle est à la fois impérative et limitative. Elle détermine un double cercle : l’un plus large, dans lequel il faut se marier, l’autre plus étroit, inscrit dans le premier, où il est interdit de se marier. Nos degrés prohibés nous donnent une idée, quoique insuffisante, du second : les restrictions imposées par le premier nous sont, légalement au moins, étrangères. On peut formuler la double règle en disant : qu’il est obligatoire de se marier dans sa caste, et interdit de se marier dans sa famille. Encore ces termes, si généraux qu’ils soient, exigent-ils, pour demeurer exacts, une foule de commentaires, de limitations. Les sciences anthropologiques ont, dans ces dernières années, créé certains termes techniques passablement barbares, mais trop commodes, trop répandus déjà, pour que je ne demande pas la permission de les introduire ici à mon tour. Ils nous épargneront des périphrases moins élégantes que confuses. On a appelé endogamie la coutume qui impose le mariage dans un cercle déterminé ; exogamie la règle qui commande le mariage hors d’un cercle déterminé, c’est ainsi que, pour nous, il n’existe qu’une loi d’exogamie. celle qui interdit le mariage dans le rayon des degrés de consanguinité proches. La loi de la caste, au contraire, est une loi d’endogamie par rapport à la caste, d’exogamie par rapport à la famille. Dans ces termes vagues, elle est absolue. Mais il la faut voir à l’œuvre.

La première règle est très générale ; elle se présente pourtant avec des nuances marquées dans la caste proprement dite et dans la tribu. Elle est beaucoup plus stricte dans la première, plus stricte au moins que dans les tribus ou « quasi-castes » musulmanes. Ordinairement endogames, elles ne le sont pas strictement ; les Beloochis, les Pathans, exigent seulement que la première femme d’un chef soit prise dans la tribu. Les Gakkhars du Penjab s’allient à d’autres tribus, tandis que les Awâns ne s’unissent guère qu’à des femmes de leur race. Mais nous sommes ici sur la frontière, parmi des populations où survit le souvenir d’une origine étrangère. Plus avant dans l’Inde, et probablement à l’imitation des castes véritables, les musulmans sont d’ordinaire plus rigoureux ; ils ne se marient guère hors du kuff, c’est-à-dire d’un certain groupe de villages habités par des musulmans de leur caste. Les tribus demeurées plus ou moins barbares, qui, de l’avis général, sont en masse aborigènes, se rapprochent en somme de l’usage des castes. Les unes et les autres se fractionnent presque invariablement en un nombre quelquefois considérable de divisions ; bien qu’enveloppées dans une dénomination commune, elles constituent au fond autant de castes