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comme celui de Syrie ; on le traverse, et de Hesse-Darmstadt on se trouve être passé on Prusse. Le postillon, du haut de son siège, vous montre trois royaumes à votre choix. Sur la rive gauche, liesse et Prusse, sur la droite, Nassau. Cette vue triple est étrange. Ce n’est pas seulement le monde du Rhin, comme on le voit d’en bas, c’est, en cet endroit, un coude qui masque et découvre, à la fois, un tout autre paysage, immense, d’un caractère essentiellement différent.

Ici, la route quitte le Rhin et s’enfonce dans un dédale de rochers, dans des bois où le mélèze, tige inclinée, léger et fantastique feuillage, apparaît parmi les noires verdures, comme un gai sourire d’éternel printemps. Hauts fourneaux, fonderies, vastes ateliers qui étonnent sur un si pauvre ; pays. Chênes graves, peu élevés, mais visiblement Agés. Sans doute trop peu de terre nourricière pour leurs robustes racines. Au relais, l’auberge la plus dépourvue que nous ayons rencontrée. Puis, à l’approche du soir, de vastes bruyères rousses, dans la mélancolie de leurs fleurs desséchées.

Ces vingt lieues que j’ai faites dans ma journée ne sont autre chose que le sommet d’un mur énorme qui sépare la Moselle du Rhin. Nous descendons enfin, et, de rampe en rampe, plongeant de l’œil dans une étroite et sinistre vallée, nous roulons au galop jusqu’au niveau du fleuve que nous ne pouvons voir, offusqués que nous sommes du fantôme d’une montagne et d’un château en ruines. Celui-ci dépassé, deux autres manoirs nous barrent encore la vue. Puis, brusquement, la route tourne et tombe dans la Moselle qui se démasque tout à coup.

Rude poste prussienne, rapide et chère, routes fortement cailloutées, sonnantes.

24, dimanche. — Après avoir passé deux fois encore le fleuve, je cours sur ses rives, en vue d’un pays joli, pauvre, sauf la vigne, le petit vin blanc de Moselle qui n’est qu’esprit.

A midi, Trêves, c’est-à-dire Rome encore. Le vieux palais césarien en briques, avec piles énormes, les Thermes admirablement conservés, l’amphithéâtre, la Porta Mora, qui semble avoir été un prætorium inachevé pour le Préfet des Gaules, tout cet ensemble réveille fortement le souvenir de la Ville éternelle.

Le Prætorium est petit, mais sans doute d’autres bâtimens, aujourd’hui détruits, s’y rattachaient. Cette porte et les bains font ressortir la supériorité du style roman sur le gothique. Les grandes et fortes arcades de la Porta Mora, les massives et pourtant si nobles assises des Thermes, porteraient des montagnes ; nul contrefort, nul travail d’esprit pour le spectateur, une étonnante simplicité de moyens.