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De même, au moment où j’écris ces lignes, l’abolition du travail en chambre figure au programme du congrès international des ouvriers gantiers qui se réunit à Grenoble (3 septembre 1893). Mais, encore une fois, si la société doit empêcher divers abus en prescrivant certaines mesures de salubrité, d’hygiène, de sécurité générale, elle ne saurait traiter les ouvriers majeurs, investis aujourd’hui presque partout des droits les plus étendus, comme des êtres incapables de se défendre. Certains excès du travail intensif ne légitiment pas la suppression du travail aux pièces. Aujourd’hui comme hier, l’ouvrier qui travaille aux pièces échappe à la surveillance tyrannique du patron, qui perd le droit de lui reprocher sa négligence ou sa paresse : n’étant plus astreint qu’à livrer dans des conditions déterminées la chose une fois promise, il acquiert une plus grande somme d’indépendance. Il a le droit absolu d’y aspirer. On peut rappeler aux congrès de Bruxelles et de Tours qu’ils avaient, dans ces mêmes sessions, réclamé l’abolition du salariat : en montrant le but aux travailleurs, ils lui défendaient de l’atteindre.

Le dixième congrès du parti ouvrier français, séant à Marseille, a dressé, comme on sait, un programme à l’usage des campagnes. Pour entraîner dans sa sphère d’action les deux couches de la démocratie rurale, il a proposé tout à la fois : pour les ouvriers agricoles de tarifer le prix du travail ; pour les fermiers et métayers, de tarifer le prix des baux. Les deux propositions se tiennent et se valent. Tout ce que nous disons de l’une s’applique à l’autre.

La politique des syndicats ouvriers consistant à monopoliser le travail, ils entreprirent une croisade contre certains bureaux par l’entremise desquels se font actuellement plus des quatre cinquièmes des placemens d’ouvriers ou d’employés. C’est pour seconder cette campagne que MM. Mesureur et Millerand, Joffrin et Dumay saisirent la Chambre des députés d’un projet interdisant, sous des peines sévères, tout placement non gratuit. M. Yves Guyot combattit cette proposition avec un véritable talent (mai 1893), montrant que le rôle d’intermédiaire entre la demande et l’offre d’emploi est un service comme un autre, comportant une rémunération légitime, et que les cotisations payées aux syndicats par les ouvriers une fois placés seraient une forme de la rémunération, signalant en outre les conséquences abusives d’un monopole que le texte adopté par la commission législative affranchissait de tout contrôle. Il n’est presque pas de « revendication » socialiste qui ne tende à confisquer une liberté. Celle-ci devait gêner assurément chaque ouvrier en quête d’un emploi, puisqu’elle le